Le 5 octobre 1933, le Théâtre des Bouffes-Parisiens s’apprête à vivre un événement : la première de Ô mon bel inconnu, comédie musicale en trois actes de Reynaldo Hahn, sur un livret de Sacha Guitry. Un compositeur et un auteur dramatique fêtés par le Tout-Paris, une distribution de prestige (Aquistapace, Suzanne Dantès, Koval…) : que demander de mieux ?

Certains des créateurs (Arletty, Simone Simon, Guy Ferrant, le chef Marcel Cariven), on peut les entendre dans le passionnant coffret de quatre CD L’Opérette française (1921-1934) par ses créateurs, jadis publié par EPM, qui comprend également le duo « Qu’est-ce qu’il faut pour être heureux ? » par Arletty et Hahn, lequel chante et tient le piano. Et on n’aura garde d’oublier le coffret Musidisc/Gaîté Lyrique donnant, grâce à l’INA, l’écho d’une soirée radiophonique de 1971 – deux disques proposant la musique, à l’exception de quelques coupures minimes, et une grande partie des dialogues, avec des interprètes habitués du défunt service lyrique de l’ORTF : Lina Dachary, Dominique Tirmont, Aimé Doniat…

La nouvelle publication du Palazzetto Bru Zane, gravée en studio, en septembre 2019, omet le texte, mais offre l’intégralité de la partition en un seul CD. Samuel Jean, auquel on doit déjà, entre autres, un enregistrement de L’Amour masqué d’André Messager, confirme son affection pour ce répertoire ; sa direction, pimpante et dynamique, n’oublie pas de mettre en valeur une orchestration joliment colorée, et son entrain se communique à une équipe de haut vol, dominée par Véronique Gens, grande bourgeoise insatisfaite, phrasé impérieux, timbre argenté et musicalité parfaite.

Olivia Doray incarne une Marie-Anne radieuse, et Éléonore Pancrazi a le mérite d’être drôle sans forcer le trait, ni tenter de ressembler à l’inimitable Arletty. Très en voix, Thomas Dolié apporte à son personnage une faconde non dénuée de classe. Yoann Dubruque est un Claude charmant. Quant à Carl Ghazarossian et Jean-Christophe Lanièce, ils se montrent bons chanteurs et bons comédiens.

Ainsi servis, les deux auteurs apparaissent sous leur jour le plus talentueux. Les répliques de Sacha Guitry fusent, non sans facilité parfois, mais avec un sens redoutable de l’efficacité (le finale de l’acte II, « Partons ! », est à lui seul un sommet) ; nul n’a, comme lui, l’art de flirter avec la trivialité sans être vulgaire (le duo Antoinette/Jean-Paul, « Mais… vous m’avez pincé le -derrière ! », serait aujourd’hui condamné par #MeToo). Guitry incarne un certain esprit qu’à l’époque, on qualifiait de « parisien » sans, pour autant, définir ce terme.

De la première à la dernière mesure, la musique de Reynaldo Hahn est un enchantement. Finement instrumentée, prodigue en mélodies alertes et charmeuses, elle prend rang parmi ces joyaux que l’on dit légers, qui arborent certes quelques rides, mais les portent crânement.

Après Ô mon bel inconnu, le Palazzetto devrait offrir, à plus long terme, la première mondiale de La Carmélite. Et l’on espère la biographie de Philippe Blay, chez Fayard. De quoi remettre à sa juste place un compositeur trop souvent regardé avec condescendance.

1 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1043

MICHEL PAROUTY

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