Opéras Les Voyages de Monsieur Brouček à Berlin
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Les Voyages de Monsieur Brouček à Berlin

07/04/2025
Peter Hoare. © Arno Declair

Staatsoper, 27 mars

Simon Rattle est, depuis longtemps, un familier de Janáček : c’est en tenant la partie de célesta dans La Petite Renarde rusée, à 17 ans, qu’il décida qu’il deviendrait chef d’opéra. Trois ans plus tard, en 1975, il dirigeait l’œuvre à Glyndebourne. Mais il n’avait jamais abordé Les Voyages de Monsieur Brouček, pas plus d’ailleurs que Robert Carsen, lui aussi familier du compositeur tchèque depuis 1999. C’est donc avec un mélange d’expérience, de découverte et d’amour que l’un et l’autre se sont retrouvés pour cette nouvelle production initialement montée à l’Opéra de Brno en décembre 2024, mais avec un autre chef. Destinant le spectacle à une scène tchèque et deux scènes occidentales (le Teatro Real est également coproducteur), le metteur en scène canadien a cherché une lecture capable de parler à tous ces publics qui n’ont forcément pas les mêmes références. Idée de génie : en situant l’action à la fin des années 1960, Carsen réussit à donner à l’œuvre cette capacité à être comprise par tous, mais aussi une cohérence que ne permet pas toujours le livret original. Son rideau de scène est un vieux poste TV, avec son écran bombé caractéristique, son cadre de bois, ses boutons de bakélite et la mire.

En première partie, le voyage sur la lune de Brouček mélange la fantaisie théâtrale joyeuse (c’est une des cuves à bière de la taverne Vikarka qui devient la fusée de Brouček) et des images de la mission Apollo 11, du module lunaire et des premiers pas d’Armstrong sur la lune. La rencontre avec les artistes éthérés installés sur l’astre céleste reproduit, avec tout le psychédélisme requis, le festival de Woodstock, rebaptisé ici Moonstock. On y croise notamment Barbarella, Janice Joplin ou les Beatles. Mais quand, au deuxième acte, Brouček doit voyager dans le temps et atterrir dans les guerres hussites du XVe siècle, Carsen le laisse en 1968, où, d’abord accusé d’être un espion de Brejnev (plutôt que de l’Empereur Sigismond), il se retrouve mêlé contre son gré aux héros du Printemps de Prague. Et si le livret évoque un certain Jan, le spectateur de 2025 ne pense pas au prêtre Jan (Zelivsky) mais bien à Jan Palach, l’étudiant praguois passé à la postérité pour s’être immolé par le feu sur la place Wenceslas en protestation contre la répression de la démocratie, et dont les photos décorent ici les murs. Et comme il fallait trouver un final qui ne soit pas trop triste, Carsen a même été exhumer les images – et les uniformes – du fameux match de hockey sur glace qui vit, aux Jeux olympiques de Grenoble, la Tchécoslovaquie vaincre l’URSS.

Entre un premier acte spectaculaire et drôle, et le deuxième, moins comique et doux-amer, c’est Brouček qui fait le lien. Anti-héros rétif à toute forme de poésie, d’abstraction et d’engagement politique, seulement obsédé par les loyers à encaisser, la bière et les saucisses, campé ici comme un improbable croisement entre Popek et le Gros Dégueulasse de Reiser, Brouček trouve en Peter Hoare un interprète à la hauteur du projet théâtral, qui plus est fort d’une voix très sûre et bien timbrée. On est éblouis également par la puissance et la précision de Lucy Crowe dans les diverses incarnations de l’idéal féminin, ainsi que par le formidable Gyula Orendt qui incarne notamment le poète Svatopluk Čech. Quelques réserves toutefois en ce qui concerne Aleš Briscein qui, dans les rôles d’amoureux, a un peu de mal à tenir la distance : le souffle se raccourcit parfois, et l’intonation n’est pas toujours irréprochable. Tous les seconds rôles sont en revanche excellents, particulièrement les quelques habitués du Staatsoper, comme les ténors Stephan Rügamer et Linard Vrielink ou la soprano Clara Nadeshdin. Chacun incarne plusieurs personnages, comme c’est l’usage dans Brouček.

Reste le génie de Rattle dans la maîtrise des chants et contrechants, des thèmes qu’il faut mélanger, des rythmes qu’il faut superposer. Le chef anglais a peu de concurrents quand il s’agit de servir cette musique si expressive, capable de dire aussi bien le rire, l’amour, la tristesse que la surprise.

NICOLAS BLANMONT

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