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Foisonnante Damnation à Monte-Carlo

09/01/2023
© OMC/Alain Hanel

Grimaldi Forum, 13 novembre

Pour sa dernière mise en scène en tant que directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, Jean-Louis Grinda n’a pas raté son coup. Conscient que La Damnation de Faust, « légende dramatique » et non pas opéra, réclame avant tout, quand on décide de la porter au théâtre, un accompagnement de la musique par l’image, il a imaginé un spectacle d’une beauté et d’un pouvoir d’évocation saisissants.

Les projections, avec un écran à l’avant et un autre au fond, jouent un rôle déterminant, tantôt en couleurs, tantôt en noir et blanc : ciels changeants (celui, dans des tons jaunes, qui enveloppe Faust pendant « Merci, doux crépuscule ! », est absolument sublime !), intérieur d’une église, toits d’une ville allemande typique, etc. Mais elles n’excluent pas le recours à de vrais décors et accessoires : alignement de tonneaux pour la taverne de Leipzig ; maison façon Monopoly pour Marguerite, qui pivote pour révéler l’intérieur  de sa chambre…

Les moments les plus spectaculaires restent ceux où les vidéos s’interpénètrent avec les éléments « solides » du dispositif scénique, conçu par Rudy Sabounghi. Ainsi de la « Course à l’abîme », avec Faust et Méphisto installés dans un wagon qui, par le miracle de la technologie, donne l’impression de dévaler des montagnes russes – on songe à l’une des scènes cultes d’Indiana Jones and the Temple of Doom (Indiana Jones et le temple maudit, 1984) de Steven Spielberg.

À la virtuosité du travail de Julien Soulier (création des vidéos) et Gabriel Grinda (projections filmées), s’ajoutent la qualité des lumières de Laurent Castaingt, subtilement variées, le goût infaillible des costumes de Jorge Jara, mais aussi l’inventivité de la chorégraphie d’Eugénie Andrin, tellement poétique quand, pendant l’envoûtant « Voici des roses » de Méphisto, huit ballerines traversent en diagonale le plateau.

Sans oublier, bien sûr, ce sens du grand spectacle qui demeure l’un des plus gros atouts de Jean-Louis Grinda. Comme dans son formidable Mefistofele de Boito, à Liège, Montpellier, Monte-Carlo, Orange, et bientôt Toulouse, on admire la gestion des masses chorales (superbe chœur maison, préparé par Stefano Visconti). Bravo, également, pour la fluidité des enchaînements entre les différents tableaux.

Dommage que ce foisonnement d’images, d’une pertinence jamais prise en défaut, ne s’accompagne pas d’une direction musicale plus cohérente. À la tête de son bel Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Kazuki Yamada enchaîne passages à vide et moments de grâce. Pâle et métronomique dans les premières scènes, incroyablement privée de nerf dans le « Menuet des follets », sa lecture se hisse sur les sommets attendus dans la quatrième partie, avec notamment un « Nature immense, impénétrable et fière » de Faust parcouru d’un vrai souffle.

Dommage, aussi, qu’Aude Extrémo, annoncée souffrante, ne soit pas en mesure de déployer toute l’étendue de ses moyens en Marguerite. La « Chanson gothique » séduit, mais les tensions se font ensuite entendre dans l’aigu, aussi bien dans le duo « Ange adoré » que dans la romance « D’amour l’ardente flamme ». Difficile, dans ces conditions, de porter un jugement définitif sur l’adéquation au rôle de la mezzo française, même s’il nous semble qu’il s’inscrit fort bien dans ses cordes.

Chez les messieurs, à côté du Brander sans problème de Frédéric Caton, on est ébloui par Nicolas Courjal, jamais aussi impressionnant que dans les personnages de diable, surtout celui de Berlioz, qu’il connaît comme sa poche. Un Méphisto en costume traditionnel (avec la plume au chapeau !), mais noir au lieu de rouge, qui chante un « Voici des roses » à fleur de lèvres et un époustouflant « Devant la maison de celui qui t’adore ». La voix, la présence, la diction, l’intelligence dans la manière de doser sérieux et dérision, tout y est !

Pene Pati, enfin, pour son premier Faust, tient du miracle. La beauté du timbre, la facilité et le rayonnement de l’aigu (quelle aisance sur le contre-ut dièse du duo d’amour !), la rondeur chaleureuse du médium et du grave, la netteté et l’expressivité du français, transportent l’auditeur sur les cimes.

Le programme de salle ne fait pas mention d’éventuels coproducteurs. On espère vivement que cette Damnation de Faust sera bientôt reprise sur d’autres scènes. Pourquoi pas à l’Opéra Bastille ? La calamiteuse production d’Alvis Hermanis, créée en 2015, n’est plus montrable, et louer celle de Jean-Louis Grinda éviterait à l’Opéra National de Paris les frais d’une nouvelle.

RICHARD MARTET


© OMC/Alain Hanel

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