Opéras Mahagonny façon Metropolis à Athènes
Opéras

Mahagonny façon Metropolis à Athènes

29/04/2024
© Andreas Simopoulos

Stavros Niarchos Hall, 19 avril

Dans sa forme, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny (Leipzig, 1930) reste une œuvre ambiguë. Car beaucoup de l’esprit du cabaret demeure dans cet opéra, où l’on oscille constamment entre des influences diverses (le jazz, le théâtre parlé…), qui font son originalité, mais ne vont pas « naturellement » ensemble.

De fait, on a, aussi, pris l’habitude de donner l’ouvrage dans de grandes salles, alors que la proximité est un élément important pour l’apprécier à sa juste valeur. Bertolt Brecht et Kurt Weill ont, en effet, conçu une pièce, où le texte compte autant que la musique, et où la caractérisation des personnages, même si elle est, parfois, volontairement caricaturale, est déterminante.

Le principal reproche que l’on adressera au Greek National Opera (GNO), est de présenter sa nouvelle production de Mahagonny sur le plateau trop vaste du Stavros Niarchos Hall, où les voix se perdent, surtout lorsqu’on ne joue pas dans un décor construit, permettant de renvoyer le son.

C’est le choix qu’opère Yannis Houvardas, du moins à l’acte I. Il fait le lien entre Mahagonny et Metropolis de Fritz Lang, sorti trois ans avant la création de l’opéra. Voyant de très fortes similarités thématiques – autour de la puissance de la ville, de la manière dont l’individu y est exploité –, le metteur en scène grec a recours à la vidéo, surtout en filmant les chanteurs en direct, mais aussi en rajoutant, parfois, des images existantes.

Le résultat fait, bien sûr, directement référence à l’expressionnisme allemand, avec un noir et blanc très contrasté et des personnages aux yeux charbonneux. Alors qu’au I, selon la logique de l’histoire, on voit ces derniers construire la ville pierre par pierre, la « cité des rêves et des plaisirs » s’élève, aux actes suivants, à l’image des gratte-ciel de New York, et c’est sur leurs façades que la vidéo continue, cette fois, d’être projetée.

Ce parti pris restitue, à bien des égards, l’esprit de l’ouvrage, mais pour cohérente qu’elle soit, l’approche de Yannis Houvardas manque de cette trivialité qui en est, aussi, la substance, et reste trop elliptique. Ainsi, au II, lorsqu’il est question de s’adonner, sans limite, aux plaisirs que sont la boisson, le sexe et la bagarre, on a du mal à comprendre véritablement ce qu’il se passe. On reste un peu en dehors du sujet, comme si le metteur en scène n’avait pas osé aller trop loin.

À noter, toutefois, la présence amusante et poétique d’un personnage inventé, qui a pour mission de dire, en grec – alors que l’opéra est chanté en allemand –, les annonces ponctuant le livret, et généralement données en voix « off », comme les nouvelles concernant le passage de l’ouragan, par exemple.

La distribution est, fait notable, entièrement composée d’artistes grecs. Elle est dominée par le Jim Mahoney du ténor Vassilis Kavayas, qui a, certes, un peu tendance à chanter Weill comme Puccini, mais n’en fait pas moins preuve d’un franc lyrisme et d’une belle présence en scène. La mezzo Marissia Papalexiou, Jenny sensible et sexy, forme, avec lui, un couple très crédible.

La Leokadja Begbick d’Anna Agathonos est pittoresque, comme il se doit, et la basse bien timbrée de Tassos Apostolou fait beaucoup d’effet en Moses. Outre le Fatty haut en couleur, campé par le ténor Christos Kechris, tous les autres rôles sont tenus avec efficacité.

Si Miltos Logiadis dirige avec brio, en sachant parfaitement fondre les différents styles de la partition, l’orchestre du GNO sonne fort, au point de couvrir, parfois, les voix. Ce déséquilibre résulte, probablement, de l’inadéquation de la salle à l’œuvre. Mais peut-être le chef grec aurait-il dû, alors, veiller à une meilleure balance.

PATRICK SCEMAMA

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