Opéras Guillaume Tell enfin en français à Milan
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Guillaume Tell enfin en français à Milan

30/04/2024
Géraldine Chauvet (Hedwige), Michele Pertusi (Guillaume Tell) et Catherine Trottmann (Jemmy). © Teatro alla Scala/Brescia e Amisano

Teatro alla Scala, 10 avril

Gloire en soit rendue à Dominique Meyer : il aura fallu un directeur français pour que Guillaume Tell soit, enfin, donné à la Scala dans sa version originale ! Le choix de la langue ne se réduit pas, ici, à une façade : même si tous n’y parviennent pas avec un égal succès, on sent qu’un véritable travail d’intelligibilité du texte a été réalisé par les principaux solistes. Et la démarche est plus largement musicologique, avec le recours à l’édition critique – comme lors des précédentes représentations, en italien, de 1988 (en DVD chez Opus Arte).

Vérification faite, quelques légères coupures ont, malgré tout, été opérées – éventuellement justifiables, au regard des points d’interrogation entourant la création, quoique de nature à enflammer les puristes. Il n’en reste pas moins trois heures quarante-cinq minutes de musique, pour une soirée d’une durée plus que généreuse (cinq heures, avec trois entractes !). Mais avec Michele Mariotti dans la fosse, dirigeant un orchestre de la Scala au meilleur de sa forme, même les éventuelles longueurs rossiniennes peuvent sembler divines.

Dès l’Ouverture, la barre est placée très haut, et le chef italien parvient à caractériser chaque moment de la partition. Le passage, en quelques minutes, d’une tension dramatique digne de Der fliegende Holländer (les déchaînements de l’orage) à un raffinement pastoral suave (le fameux « Ranz des vaches ») rappelle tout ce que l’œuvre doit à la nature. On aura donc, d’emblée, compris que rien ne se fera au hasard, et que Michele Mariotti sera homme à donner le juste caractère à chaque ensemble, air ou page de ballet.

Le Guillaume Tell de Michele Pertusi est connu, et l’on retrouve, avec plaisir, ses qualités de solidité et de fluidité. La puissance n’est pas exceptionnelle, mais le chant est toujours juste, et le français, le plus souvent, très compréhensible. Les autres basses ne déçoivent pas non plus, qu’il s’agisse de Nahuel Di Pierro, Evgeny Stavinsky, ou Luca Tittoto, dessinant un Gesler sans caricature.

Si Dmitry Korchak déploie, en Arnold, une riche palette de nuances et, notamment, une mezza voce lumineuse, il cède, parfois, à la tentation du portamento, et l’aigu peut sembler criard, à plein volume. Salome Jicia prête à Mathilde une voix claire, mais sonore, avec un legato suave. Alors que « Sombre forêt », au II, techniquement admirable, peine à émouvoir, faute de véritable contexte théâtral, « Pour notre amour plus d’espérance », au III, est absolument brillant.

Coup de chapeau appuyé, enfin, aux deux Françaises de la distribution : la soprano Catherine Trottmann, lumineux Jemmy, et la mezzo Géraldine Chauvet, formidable Hedwige. Leur trio avec Mathilde, au IV, « Je rends à votre amour », est un des moments forts de la soirée.

La dernière fois que Guillaume Tell – ou, plutôt, Guglielmo Tell – avait été donné à la Scala, Riccardo Muti était aux commandes. Cette nouvelle production, qui marque le retour de l’ouvrage, trente-six ans plus tard, a été confiée à sa fille Chiara. Geste d’apaisement du théâtre, à l’égard de son ancien directeur musical ? Le résultat, en tout cas, ne convainc pas.

La metteuse en scène italienne explique avoir voulu décrire le cheminement des protagonistes de l’obscurité vers la lumière. Le premier résultat est qu’elle annihile toute la dimension naturaliste de l’œuvre. L’opéra se déroule dans des tonalités de noir et de gris anthracite – exception faite d’une Mathilde en blanc et d’un Gesler tout en rouge, démon flanqué de sept drag queens, censées figurer les sept péchés capitaux…

Sans qu’on sache très bien pourquoi, les Helvètes opprimés sont équipés de tablettes lumineuses. Ils n’en font, cependant, pas grand usage, et le spectateur passe tout le premier acte sans comprendre, ni les décors d’Alessandro Camera, entre ascenseurs servant pour l’industrie minière et prison totalitaire – en référence, selon Chiara Muti, au film Metropolis de Fritz Lang (1927) –, ni les rares actions qui s’y déroulent.

Car tel est bien le problème. Il y a, d’un côté, une accumulation d’images, au mieux confuses, voire parfois contradictoires, et de l’autre, un vide théâtral abyssal, faute d’approfondissement des personnages et de véritable direction d’acteurs – notamment des chœurs, qui se traînent, plus d’une fois, sans savoir que faire.

Une occasion manquée !

NICOLAS BLANMONT

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