Ordenskirche St. Georgen, 14 septembre
Au nord de la ville, sur la Colline verte, le Festspielhaus dort depuis quelques jours déjà. Mais la métropole wagnérienne vit désormais au rythme de son second rendez-vous de prestige, le « Bayreuth Baroque Opera Festival », inauguré par Max Emanuel Cencic, en 2020, pour faire renaître les raretés d’une époque à laquelle la cité doit, surtout, quelques joyaux architecturaux, dont le premier est le somptueux Opéra des margraves (Markgräfliches Opernhaus).
Étoffant les deux opéras à l’affiche, une série de concerts offre l’occasion de croiser des solistes de premier plan, comme Valer Sabadus, Véronique Gens et Daniel Behle, irradiant quelques splendeurs architecturales de la Mecque wagnérienne (Schlosskirche, Sonnentempel der Orangerie in der Eremitage, Schloss Colmdorf…).
Le programme virtuose de Bruno de Sa nous entraîne dans une chaleureuse église (Ordenskirche St. Georgen), haute nef en croix grecque à coupole surbaissée, qu’animent de belles galeries à balustrades de bois, contrastant avec les stucs blancs et roses des pâtisseries des plafonds, sous la lumière douce de myriades de bougies.
Le sopraniste brésilien, qui avait illuminé Alessandro nell’Indie, à Bayreuth, l’an dernier (voir O. M. n° 187 p. 31 de novembre 2022), s’engage, ici, sur les traces de l’École napolitaine du XVIIIe siècle, impulsée par Alessandro Scarlatti, et qui permit à l’« opera seria » de dominer l’Europe musicale, par le seul fait des possibilités offertes à ses interprètes les plus éblouissants : les castrats.
Avec sa voix de pur soprano, à la couleur d’une absolue féminité, Bruno de Sa est, sans doute, l’un des mieux armés aujourd’hui pour pareil parcours d’illustration et de défense d’un répertoire et d’une technique de chant, saluant d’abord la génération des élèves de Francesco Durante, avec Leonardo Vinci et Giovanni Battista Pergolesi.
Morts trop jeunes, ces créateurs laissèrent place libre à Nicola Porpora, à l’encore inconnu Giuseppe Sellitto, ou à Riccardo Broschi, le frère de Farinelli, qui conclut le programme, avec le superbe « Son qual nave » (Artaserse). Génération qui vit briller, aussi, Domenico Cimarosa, seul à inscrire durablement une de ses œuvres lyriques au répertoire du futur – mais certes pas Gli Orazi e i Curiazi, dont on découvre « Quelle pupille tenere » –, et Johann Adolf Hasse, venu étudier à Naples, quoique en gardant quelques raideurs germaniques, comme en témoigne « Nocchier che teme assorto » (Caio Fabbricio).
Que saluer dans l’interprétation de Bruno de Sa ? La technique d’une précision ahurissante, la vélocité pure, l’ascension aussi facile que céleste dans un aigu transparent, chaleureux, au timbre frais, coloré, et comme inépuisable ? Ce serait oublier la puissance du suraigu, la rondeur du médium, le bon appui du grave, la souplesse de l’émission, l’inventivité de l’ornementation, la tenue et l’usage du vibrato serré. Et une aisance déconcertante, jointe à des maniérismes, des mines et un rentre-dedans qui réjouissent une salle conquise.
Mais au-delà de cette virtuosité ébouriffante, il a aussi montré son sens de la construction d’un programme, en choisissant des airs tous différents d’expression et de sentiments, et surtout, une sensibilité d’interprète majeur, en atteignant à l’émotion palpable, avec « Parto, ti lascio, o cara » (Germanico in Germania de Porpora), et après deux bis signés Haendel – qui, lui aussi, vint boire à la source napolitaine, en 1708 –, un « Ombra mai fu » (Xerse), non pas du même, mais de son rival Giovanni Bononcini, aussi magnétique que confondant de beauté. Ce qui laisse espérer qu’au-delà de ses évidentes facilités, Bruno de Sa offre plus encore d’incarnations, non seulement phénoménales, mais aussi théâtralement saisissantes.
Dimitris Karakantas et l’ensemble Nuovo Barocco accompagnent l’exploit vocal avec vivacité. Et si le violon du chef grec n’est pas toujours parfaitement juste, les hautbois de Bettina Simon et Shaghayegh Farahani sont, à l’instar du basson de Makiko Kurabayashi, souvent inspirants.
PIERRE FLINOIS