Comptes rendus Raphaël Pichon au sommet
Comptes rendus

Raphaël Pichon au sommet

22/04/2020

Monteverdi : Vespro della Beata Vergine

Merveilleusement mis en lumière par Bertrand Couderc, le concert, donné dans la Chapelle Royale du Château de Versailles, le 10 février 2019, nous avait ébloui (voir O. M. n° 149 p. 67 d’avril). Sa captation nous procure un bonheur équivalent, par la grâce d’une réalisation exemplaire.

Les caméras de Colin Laurent ne peuvent évidemment pas rendre complètement justice à l’atmosphère d’ensemble de cette authentique « représentation liturgique », ni aux effets de spatialisation nés de la répartition, pour certaines sections de ces Vêpres de la Vierge, des chœurs et des solistes à différents endroits du sublime édifice. Mais ce que l’on perd d’un côté, on le gagne d’un autre, le DVD révélant des détails par définition invisibles pour les spectateurs.

Les plans rapprochés sur Raphaël Pichon constituent ainsi un indéniable plus. Sur son visage, d’une expressivité intense, mais surtout sur ses mains, qui sculptent la matière sonore comme si c’était de la glaise, pour la transformer en architectures musicales d’une puissance inouïe.

Les micros, eux, se montrent d’une fidélité absolue, servant au mieux les remarquables choristes et instrumentistes de l’ensemble Pygmalion, en effectif fourni (soixante et un au total). Aucun décalage, aucune voix discordante dans cette exécution d’une perfection qui fait passer le frisson, Raphaël Pichon veillant à ce que la précision de la construction ne fasse jamais obstacle à l’émotion.

Quant aux solistes, dont certains se détachent des rangs de Pygmalion, ils sont exceptionnels.Les timbres d’Eva Zaïcik et Lea Desandre se marient idéalement, la couleur si particulière de la voix de Lucile Richardot jette un éclairage fascinant sur chacune de ses interventions, Emiliano Gonzalez Toro et Zachary Wilder poussant l’expressivité jusqu’à son paroxysme. Le second se distingue tout particulièrement, les gros plans mettant en relief la manière dont chaque variation dans l’intensité musicale trouve sa traduction sur les traits de son visage.

La vidéographie des Vêpres de la Vierge était, jusqu’ici, dominée par les deux éditions dirigées par John Eliot Gardiner, dans des perspectives on ne peut plus différentes : grandiose et théâtrale, dans la basilique Saint-Marc de Venise, en 1989, avec des chanteurs de stature internationale, comme Michael Chance, Nigel Robson ou le tout jeune Bryn Terfel (Archiv Produktion/Deutsche Grammophon) ; plus intimiste et recueillie, dans la Chapelle Royale de Versailles, en 2014, avec des solistes issus du Monteverdi Choir (Alpha Classics).

Sans les surclasser, la nouvelle version se hisse sur les mêmes cimes. Qui s’en plaindrait ?

RICHARD MARTET

https://www.youtube.com/watch?v=UTL4UQtddpw

 

Stravaganza d’amore ! La Naissance de l’opéra chez les Médicis

Fin 2016, Raphaël Pichon et Pygmalion enregistraient, en CD chez Harmonia Mundi (voir O. M. n° 130 p. 80 de juillet-août 2017), une première mouture de ce florilège musical en hommage à la Florence des Médicis, creuset intellectuel dans lequel naquit un genre appelé à conquérir les scènes : l’opéra. Le 11 février 2019, la Galerie des Glaces du Château de Versailles accueillait chef, ensemble instrumental, chœur et solistes, pour raviver les souvenirs de ces temps lointains – un concert, aujourd’hui diffusé en DVD, au programme légèrement différent de celui du disque.

Mécènes avisés et fins politiques, les Médicis avaient vite compris que l’art pouvait être un précieux instrument du pouvoir. D’où l’idée de fêtes somptueuses, les plus célèbres étant celles qui, en 1589, marquèrent les noces de Ferdinand Ier et Christine de Lorraine – la pièce de Girolamo Baragli, La Pellegrina, y fut créée, encadrée par six intermèdes dus à des compositeurs aussi cotés que Cristoforo Malvezzi, Emilio de’ Cavalieri, Luca Marenzio, Giulio Caccini, Jacopo Peri et Giovanni de’ Bardi.

Puisant dans ce fonds d’une étonnante richesse, mais aussi chez d’autres musiciens, Raphaël Pichon avait imaginé, pour l’enregistrement Harmonia Mundi, sa propre fête, cette si séduisante Stravaganza d’amore !. Ici, la soirée est toujours divisée en quatre intermèdes : le premier et le dernier glorifient les nouveaux époux, entourant deux épisodes dramatiques consacrés à des amants mythiques, Apollon et Daphné, Orphée et Eurydice.

Entre 2016 et 2019, certaines pages ont disparu (« Un guardo, un guard’appena » de Marco da Gagliano, à la scène 3 de l’intermède II), d’autres ont changé de place (« Ohimè ! che veggio », passé de la scène 1 à la scène 2), d’autres, encore, se sont ajoutées, dont plusieurs de Claudio Monteverdi (« Hor che’l ciel e la terra » et un extrait de Tirsi e Clori dans l’Intermède I).

Qu’importe, l’esprit est le même, et l’interprétation toujours aussi enthousiasmante, d’autant que la sobre réalisation de François-René Martin ne cache rien de la foi qui anime les interprètes. Lucile Richardot, Davy Cornillot, Zachary Wilder et Nicolas Brooymans sont toujours là, mais Lea Desandre, Eva Zaïcik et Emiliano Gonzalez Toro les ont rejoints.

« O che felice giorno » de Caccini est magnifié par le timbre sensuel d’Eva Zaïcik. Le chant intense de Lucile Richardot bouleverse dans « Ahi, troppo è duro » de Monteverdi, comme la retenue d’Emiliano Gonzalez Toro dans « Funeste piagge » de Peri. Lea Desandre, enfin, délivre une Lettera amorosa monteverdienne poignante.

La fougue, la musicalité et l’équilibre du chœur, les couleurs instrumentales, tout ici, n’est qu’enchantement, et la baguette de Raphaël Pichon insuffle à ces partitions une vie donnant l’impression qu’elles viennent juste d’être composées.

MICHEL PAROUTY

https://www.youtube.com/watch?v=Fx45F0-IsEg

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