Comptes rendus Châtiments kafkaïens à Dijon
Comptes rendus

Châtiments kafkaïens à Dijon

21/02/2020

Auditorium, 12 février

On est un peu lassé, en assistant, ici ou là, à la création d’un nouvel opéra, de devoir supporter un récitatif uniforme. Quelques compositeurs, certes, osent parfois donner sa chance au chant ; mais, la plupart du temps, la grisaille est de rigueur, que l’orchestre soit ou non accompagné par la technologie. Singulièrement, ce n’est pas l’impression qu’on éprouve à la fin des Châtiments, commande de l’Opéra de Dijon, dont la création a lieu dans le vaste Auditorium.

Bien sûr, Brice Pauset (né en 1965) n’a pas écrit là un opéra à numéros, qui l’aurait contraint de faire preuve d’une invention mélodique constamment renouvelée. Mais, en choisissant une déclamation serrée, sans intervalle meurtrier, un peu à la manière de celle de Wozzeck (l’opéra est chanté en allemand), « avec parfois une scansion chantée plus rapide que celle, parlée, d’un acteur en situation de jeu », comme il l’explique lui-même, il évite l’obstacle de la monotonie.

Le lyrisme n’est pas la vertu dominante de sa partition, mais on sent que le compositeur français sait appréhender la voix et qu’il a choisi une manière précise de la traiter. On peut lui faire le reproche, en revanche, d’avoir choisi un sujet qui fait de son opéra une partition statique. Trois sujets, plutôt : Les Châtiments mettent en musique trois courts récits de Franz Kafka, le livret de Stephen Sazio étant plus une adaptation des trois textes, dont il reprend en grande partie les phrases, qu’une création originale.

Le Verdict met en scène un jeune homme, Georg, accablé par son père qui le pousse au suicide. La Métamorphose raconte l’histoire de Gregor, qui se retrouve un matin transformé en insecte et se réfugie dans sa chambre pour y mourir, sa sœur ayant seule manifesté un peu de compassion à son égard. Dans La Colonie pénitentiaire, enfin, un officier vante à un voyageur les mérites d’une machine à exécuter les condamnés ; mais, devant le scepticisme de ce dernier, il s’exécute finalement lui-même.

Les deux premières parties se déroulent dans un seul et même décor : un intérieur bourgeois, avec, côté cour, une chambre (celle du Père dans Le Verdict, celle du Fils dans La Métamorphose), et, côté jardin, le reste de l’appartement (le salon, la cuisine). Un décor simple, élégant (à la mode des années 1920), fort bien éclairé, qui rend l’action tout à fait lisible, même s’il se passe peu de choses, les conversations et les interrogations personnelles occupant l’essentiel de l’action.

Dans La Colonie pénitentiaire, l’appartement fait place à une machine gigantesque, avec ses rouages et sa herse munie d’aiguilles, qui doivent inscrire la sentence dans la chair même du Condamné (rôle muet). Mais le système est poussé ici dans ses limites : cette troisième partie consiste essentiellement en un monologue de l’Officier, qui décrit longuement le fonctionnement de la machine, ainsi que l’état du droit dans le pays chaud où l’on se trouve. Les quelques répliques du Voyageur relancent le propos, mais la machine dramatique, comme la machine qu’on voit sur le plateau, tourne à vide.

L’intérêt est toutefois maintenu par la qualité de la réalisation, David Lescot réussissant une vraie mise en scène tenue, soignée, crédible, malgré la minceur du propos. Il est soutenu aussi par l’excellence des chanteurs. S’il ne faut pas chercher d’effusion dans la partition, la transparence de la voix d’Emma Posman suffit à donner du fruit et de l’étoffe à la déclamation. C’est vrai également de la performance d’Allen Boxer, Fils victime dans les deux premières parties, Officier sûr de lui dans la troisième, qui sait mettre son timbre de baryton au service de la soumission la plus souffreteuse, puis d’une arrogance qui vire au burlesque.

Le Père, dans les deux premières parties, n’a rien du père noble de l’opéra traditionnel ; c’est pourquoi Brice Pauset lui a attribué la voix de ténor. Ténor délirant dans Le Verdict, ténor mesquin dans La Métamorphose, l’excellent Michael Gniffke n’a plus qu’à donner la réplique dans La Colonie pénitentiaire. Les petits rôles sont tous, par ailleurs, très bien distribués.

Dans la fosse, le vaste orchestre est traité avec une certaine imagination, même s’il donne l’impression, au début, de couvrir les voix. Les grandes déflagrations sont rares mais efficaces, les cordes ayant pour fonction de cisailler la pâte sonore, et les bois graves d’exprimer l’angoisse, le tout, bien sûr, augmenté par un jeu copieux de percussions. À la tête de l’Orchestre Dijon Bourgogne, Emilio Pomarico dose toute cette matière instrumentale avec un vrai bonheur.

Un petit chœur de six chanteurs, également dans la fosse, accompagne discrètement les métamorphoses de la voix de Gregor. Deux ou trois brefs moments, enfin, font entendre des musiques de cabaret, citations anecdotiques qui n’ajoutent pas grand-chose, l’opéra n’ayant rien d’un pastiche et ne pratiquant en aucune manière l’autodérision.

CHRISTIAN WASSELIN

PHOTO © OPERA DE DIJON/GILLES ABEGG

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