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Comptes rendus

Un Freischütz orchestral et vocal à Strasbourg

15/05/2019

Opéra, 27 avril

Il faut se méfier des concepts, surtout lorsque le mot ne désigne qu’une astuce de mise en scène, appelée à tourner court au bout de quelques minutes. En voici une preuve supplémentaire avec ce nouveau Freischütz, signé à l’Opéra National du Rhin par Jossi Wieler et Sergio Morabito.

Au cours du premier acte, nous ne sommes pas en présence de chasseurs mais de soldats, car tous les chasseurs, nous dit-on, sont d’abord des tueurs. D’où treillis, mitraillettes, gymnastique et exercices divers, avec toutefois, pour faire bonne mesure, des espèces de personnages sortis des bois, mi-animaux fantastiques, mi-humains. Ce sera tout pour le concept.

Au troisième acte, les chasseurs sont sagement vêtus de costumes-cravates, les références à la guerre n’apparaissant que d’une manière paresseuse et aléatoire, sous forme de brèves vidéos : à la fin du tableau de la Gorge-aux-Loups, et pendant quelques secondes lors du chœur final de l’opéra ; avec aussi, de temps en temps, des drones qui voltigent comme des silhouettes d’oiseaux.

Le reste de la mise en scène est on ne peut plus banal, avec une direction d’acteurs convenue, des costumes sans grâce et des décors dépourvus d’unité stylistique : aux baraquements du premier acte, à la maison forestière sommairement construite du début du deuxième, répond une Gorge-aux-Loups de carton-pâte,  où Max descend tel un spéléologue, où Kaspar fond tranquillement ses balles dans son petit creuset, où la lumière bien sûr est rouge, car le diable n’est jamais loin ! On ne nous épargne ni la mère de Max, ni la silhouette d’Agathe qui apparaissent au fond.

La prononciation des dialogues est le seul point qu’aient travaillé nos deux metteurs en scène : dits de manière incisive, avec un zeste de désinvolture et d’ironie, ils s’enchaînent parfaitement avec les numéros musicaux, mais créent une rupture de ton. Comment croire, en effet, que Max et les autres chantent avec exaltation ou héroïsme, mais parlent de manière détachée ?

Mais n’accablons pas Jossi Wieler et Sergio Morabito : les dialogues n’ont pas été réécrits, la musique est là tout entière, et l’indigence de la conception scénique permet de nous concentrer sur l’essentiel. Et, à cet égard, on est plutôt gâté.

Par la direction de Patrick Lange, d’abord, qui tient l’Orchestre Symphonique de Mulhouse de bout en bout, trouve dès la première scène la couleur, l’atmosphère, la poésie, et bénéficie de solistes instrumentaux de choix (la clarinette, la flûte).

Il y a là un vrai paysage sonore, dans lequel se glissent les valeureux Chœurs de l’Opéra National du Rhin et des chanteurs parfaitement à leur place, en premier lieu David Steffens, Kaspar d’autant plus inquiétant qu’il ne joue pas au possédé, et n’escamote rien des vocalises de son premier acte.

Le duo que forment Lenneke Ruiten et Josefin Feiler est sans surprise, mais efficace : la première est une Agathe discrètement tourmentée, qui rend avec finesse les humeurs changeantes de l’air « Leise, leise », lequel est l’une des plus riches inventions de toute l’œuvre de Weber ; la seconde est peut-être moins insouciante que les Ännchen habituelles, mais sa présence anime une mise en scène qui ne lui demande guère que de tapoter sur sa tablette électronique.

Il est toujours difficile de distribuer Max, jeune homme fruste aux prises avec des tourments qui le dépassent ; Jussi Myllys, ici, n’a rien d’un benêt, ne fût-ce que par son allure, et son timbre un rien pâlot suffit à dire son malaise. De son air du premier acte « Durch die Wälder » à ses interventions fragmentaires du dernier tableau, voilà un personnage de perdant qui prend toute son étoffe.

Ce Freischütz est à deux doigts de nous ravir, parce qu’il nous rappelle, au-delà du surnaturel frelaté de la scène, que la vraie noirceur se trouve dans les accords vénéneux de l’orchestre et le charme équivoque des voix.

CHRISTIAN WASSELIN

PHOTO © KLARA BECK

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