Comptes rendus Bruxelles fait fête à Robert le Diable
Comptes rendus

Bruxelles fait fête à Robert le Diable

10/04/2019

Bozar, 5 avril

Malgré le regain d’intérêt pour Meyerbeer, Robert le Diable (Paris, 1831) reste un ouvrage rare. Quelle aubaine, donc, que cette soirée proposée par la Monnaie au Bozar, même si l’on se demande si une version de concert est propre à rendre justice à ce « grand opéra », où le spectaculaire visuel est si important !

La direction du chef italien Evelino Pido vise l’efficacité, mais se montre peu soucieuse de la précision des attaques ou de la finesse des couleurs. Elle se laisse volontiers aller aux effets de masse et à la tonitruance, ne permettant ni à l’Orchestre Symphonique de la Monnaie, ni aux Chœurs de se montrer sous leur meilleur jour. Ajoutons que, parmi les nombreuses coupures effectuées (presque une heure de musique !), certaines desservent l’impact de l’ouvrage : ainsi du trio a cappella de l’acte III, qui n’atteint pas au sublime attendu, faute de développement.

Heureusement, le spectateur peut compter sur la très belle qualité du plateau, jusque dans  les rôles de Raimbaut – le solaire ténor français Julien Dran – et d’Alberti – la solide basse belge Patrick Bolleire. Et, pour évoquer le fameux quatuor principal de la création, chacun tient bien son rang.

Marchant vaillamment sur les traces de Nourrit – et donnant même, au début du II, l’air « Oh ! ma mère », composé pour Mario lors d’une reprise –, Dmitry Korchak montre en Robert une voix mordante, au suraigu efficace et au médium suffisamment corsé, de surcroît dans un français plus que correct. Dommage que, constamment rivé à la partition, le ténor russe ne communique ni avec la salle, ni avec ses partenaires.

Confronté à un ambitus taillé sur mesure pour l’illustre gosier de Levasseur – du mi bémol grave au fa dièse aigu –, Nicolas Courjal possède la voix idéale, longue et sonore, avec un aigu facile et brillant, et le creux nécessaire dans le grave. Dommage que son aisance s’accompagne de ce ton débonnaire, dont il pare toutes ses incarnations maléfiques.

Or, Bertram est justement un « méchant » à part, en raison de l’amour qu’il porte à son fils Robert, faille dans sa nature diabolique, et son aveu « Je t’ai trompé, je fus coupable » doit autant émouvoir que son « Nonnes, qui reposez… » doit faire trembler. Une double dimension que la basse française peine encore à exprimer, faute peut-être de la prendre assez au sérieux.

Dans une partie créée par Julie Dorus-Gras, mais qui semble avoir été pensée par avance pour Cornélie Falcon, la soprano espagnole Yolanda Auyanet brille par sa voix corsée, capable d’une belle ampleur et d’une extension aiguë appréciable, minorée seulement par une présence physique limitée et un français aux voyelles pas toujours exactes.

Il est vrai que son Alice souffre du voisinage avec l’Isabelle rayonnante de Lisette Oropesa. Encore auréolée de son triomphe en Marguerite de Valois dans Les Huguenots, à l’Opéra Bastille, la soprano américaine reprend avec superbe le flambeau de Laure Cinti-Damoreau et, avant même d’ouvrir la bouche, crée à elle seule le théâtre, d’un regard, d’une posture. Puis elle met la salle à ses pieds dès le premier son, d’une résonance exceptionnelle, se projetant sans effort dans l’espace avec une rondeur, une chaleur et une présence phénoménales.

Cette beauté glorieuse s’appuie sur une imagination musicale constamment en action et sur une technique superlative, permettant une homogénéité totale des registres, d’un grave fruité à un suraigu d’une facilité déconcertante. Ajoutons des trilles comme on avait presque renoncé à en entendre, une longueur de souffle infinie mais jamais ostentatoire, et des piani et diminuendi enchanteurs.

Avec, pour compléter, un français quasi parfait et une grâce physique irrésistible, on comprend l’accueil délirant du public ! À quand une nouvelle production de Robert le Diable avec cette Isabelle de rêve ?

THIERRY GUYENNE

PHOTO : Evelino Pido. © DR

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