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Comptes rendus

Le Freischütz à Caen : pour la musique !

07/03/2019

Théâtre, 3 mars

C’est dans le cadre de SPRING, un festival des nouvelles formes de cirque en Normandie, que cette production a été créée à Caen. Du coup, la mise en scène en a été confiée à la Compagnie 14:20 ; créée par Clément Debailleul et Raphaël Navarro, en 2000, elle travaille  surtout sur l’adaptation de l’art de la magie au théâtre.

Avec son intrigue fantastique et ses balles ensorcelées, Der Freischütz semblait tout indiqué pour une telle approche et l’on en attendait beaucoup. D’où une réelle déception. Le spectacle ne manque certes pas d’effets, mais la volonté des metteurs en scène de fonder leur concept sur le noir et le gris, et sur une utilisation massive de la vidéo, dénature l’œuvre.

Pas de fusils ici, mais des boules lumineuses lancées par les protagonistes ; aucun folklore ; un rythme lent (visuellement s’entend), qui plombe l’atmosphère. Des projections d’hologrammes de sous-bois, sur toute la largeur de la scène, ne suffisent pas évoquer la nature dans ce jalon essentiel du romantisme musical allemand.

Par exemple, Agathe interprète figée ses deux airs, notamment sa cavatine du III, qu’elle chante plantée devant un plateau totalement noir et éclairée par un projecteur, comme si nous assistions à un récital. Quant à la scène de la Gorge-aux-Loups, dont on attendait des merveilles, elle tombe à plat. Les chœurs sont trop souvent statiques, et ce n’est pas la présence d’un mime/acrobate, doublant les personnages pour surligner la psychologie de l’intrigue, qui sauve la mise. Tout ce beau monde apparaît et disparaît, des panneaux et des rideaux montent et descendent, créant un visuel assez chaotique.

Si le grand écran plat, au milieu du plateau, est amusant quand il représente le fameux tableau de l’aïeul Kuno (lequel a soudain des mimiques inattendues), il devient superflu quand c’est le visage d’une Agathe muette qui y apparaît en gros plan, pendant son duo du III avec Ännchen. Enfin, la manière dont, au finale, les choristes brandissent l’Ermite au-dessus d’eux touche au grotesque.

La profusion technologique du concept semble ainsi nous installer devant un écran géant, en nous donnant la sensation que nous ne sommes pas devant un spectacle vivant. Surtout, les procédés utilisés transmettent une matière abstraite, un Freischütz privé de toute émotion.

Cela est d’autant plus regrettable que la réussite musicale est quasi totale. D’abord grâce à Laurence Equilbey, qui dirige avec passion un remarquable Insula Orchestra, gorgé de sonorités pittoresques et chamarrées ; les tempi sont justes, jamais excessifs. Quant au chœur Accentus, il atteint des sommets de cohésion et de ferveur expressive : des voix masculines somptueuses voisinent avec des pupitres féminins limpides, à l’allemand impeccable.

Tuomas Katajala est un Max solide, au timbre affirmé, à la plastique un rien banale, mais efficace dans l’aigu, comme dans le médium. Johanni van Oostrum a la voix d’Agathe, lumineuse, d’une belle plénitude sur toute la tessiture, sans le moindre vibrato et sans dureté dans les aigus. Il ne lui manque que d’incarner son personnage, tenu à distance à cause de la mise en scène.

Timbre clair, mais sans acidité, virtuosité maîtrisée, Chiara Skerath offre une grande Ännchen ; elle est surtout la seule à jouer la comédie et à animer le plateau. Le Kaspar de bronze de Vladimir Baykov, la diction libérée de Thorsten Grümbel dans le grand récit de Kuno au I, l’autorité chaleureuse de l’Ermite de Christian Immler, malgré les poses qu’on lui fait prendre, sont à louer au sein d’une distribution sans faiblesse.

Le public a fait un triomphe sans partage à ce  spectacle qui, brillant musicalement, nous a semblé à côté de la plaque scéniquement.

JEAN-LUC MACIA

Reprise au Grand Théâtre de Provence d’Aix-en-Provence (7 et 8 mars), puis, en version de concert, au BOZAR de Bruxelles (17 mars) et au Theater an der Wien de Vienne (22 mars).

PHOTO © JULIEN BENHAMOU

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