Comptes rendus Exaltante Anna Bolena à Lausanne
Comptes rendus

Exaltante Anna Bolena à Lausanne

13/02/2019

Opéra, 8 février

Pour cette nouvelle mise en scène d’Anna Bolena, coproduite avec l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, le Royal Opera House de Mascate et l’ABAO de Bilbao, l’Opéra de Lausanne suit l’édition critique de Paolo Fabbri (Ricordi/BMG), en faisant retour au premier état de la partition. Celle-ci, en effet, fut ensuite modifiée par Donizetti en fonction des distributions mises à sa disposition, le rôle de Percy, créé par l’illustre Giovanni Battista Rubini, ayant notamment dû être adapté pour d’autres ténors.

Le respect stylistique de l’ouvrage est exalté par la mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera qui, non sans courage, déclare, dans sa note d’intention, avoir « souhaité respecter la volonté du compositeur et de son librettiste [Felice Romani], en ne perdant pas de vue le contexte historique du destin tragique d’Anne Boleyn ». Mais, loin de figer la représentation dans une reconstitution muséale au faste ostentatoire, cette production va de pair avec une direction d’acteurs très fine.

L’évocation des appartements du château de Windsor (boiseries dorées, panneaux mobiles figurant des salles, une cour, le couloir menant à la chambre de la reine…), puis de la tour de Londres (une simple muraille et une grille), donne le sentiment du piège qui se referme inexorablement sur l’héroïne. Superbement éclairés par Franco Marri, les décors de Gary McCann sont d’une beauté saisissante, tout comme les costumes de Fernand Ruiz.

Roberto Rizzi Brignoli obtient de l’Orchestre de Chambre de Lausanne une netteté du son, une palette des couleurs qui assurent la transparence, les articulations mélodiques, la fusion avec les solistes, en particulier dans les récitatifs dramatiques et les ensembles. L’art du maestro s’attache à laisser respirer le détail de l’instrumentation, à iriser le galbe de la mélodie dans une entente complète avec un plateau survolté.

Shelley Jackson, lauréate de l’« International Maria Callas Grand Prix » d’Athènes, en 2017, venait d’incarner Anna Bolena à Karlsruhe, quand Maria Grazia Schiavo, initialement annoncée, a annulé. Belle allure, dignité du geste, la soprano américaine prolonge le célèbre portrait de la souveraine, conservé à Londres (National Portrait Gallery), qui forme le rideau de scène : le rang de perles et le pendentif porteur d’un B (de corail ?) semblent tracer au bourreau le destin de la suppliciée.

À mesure que l’injustice s’accomplit autour de la reine imprudente, la voix de Shelley Jackson s’éclaire pour atteindre autorité et lumière dans les dernières scènes, où le médium et le grave parfois gutturaux du premier acte font place sans contestation possible à la plus aérienne extase.

Si la version originale repose sur l’interprète de Percy, Edgardo Rocha en est aujourd’hui la condition nécessaire. Le ténor uruguayen assène sans difficulté un contre-mi naturel, deux contre-mi bémol, et des contre-ut à faire défaillir. Sa virtuosité et sa musicalité confondent, la jauge de la salle et la direction de Roberto Rizzi Brignoli évitant de s’interroger sur la portée du grave et du médium.

Ketevan Kemoklidze rappelle que, demoiselle d’honneur d’Anna, Giovanna Seymour n’est pas une virago, mais un être complexe dont les débats de conscience, la souffrance et le calcul cheminent en un chant riche et toujours maîtrisé. La mezzo géorgienne excelle dans ses duos avec Enrico et Anna.

Le roi d’Angleterre, dont on devine à l’arrière-plan le fameux portrait par Holbein, présente curieusement la silhouette longiligne de Mika Kares. La basse finlandaise a le timbre sombre et la puissance suffisante pour camper le despote assoiffé de domination et esclave de ses caprices. Il alterne avec succès la galanterie et la fureur, même si la rudesse de quelques vocalises évoque plus le loup que le renard. Depuis Machiavel, nous savons que le Prince tient de l’un et de l’autre.

Smeton est l’agent innocent du destin. Page d’Anna, sigisbée, comme on dit dans le Milan des années stendhaliennes, il n’est pas, pour une fois, affublé comme un clown, mais il porte l’habit du jeune seigneur. Cristina Segura, contralto au timbre fruité, chante avec gravité ses deux airs.

Rochefort, le frère d’Anna, a la noble voix et le port altier de Daniel Golossov et Aurélien Reymond-Moret confère un relief inquiétant à l’espion Hervey, exécuteur des vils desseins de son maître. Préparé par Antonio Greco, féru du répertoire monteverdien, le Chœur de l’Opéra de Lausanne se fait, enfin, protagoniste.

Pour que s’accomplisse la « Donizetti Renaissance », il faut surtout la fidélité.

Représentations à l’Opéra Royal de Wallonie, du 9 au 20 avril.

PATRICE HENRIOT

PHOTO : © ALAN HUMEROSE

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