Comptes rendus Semaine Mozart à Salzbourg
Comptes rendus

Semaine Mozart à Salzbourg

30/01/2019

Felsenreitschule, 24 janvier

Composé vers 1773-1774, remanié et créé à Salzbourg, sans doute en 1779, Thamos, « musique de scène » (« Schauspielmusik ») de Mozart, est rarement joué. Narrant quelques manigances dynastiques, l’œuvre évoque en filigrane Die Zauberflöte, par le culte du Soleil ou l’omniprésence des Prêtres.

Maître d’ouvrage de la « Semaine Mozart » (« Mozartwoche ») salzbourgeoise, Rolando Villazon a confié à Alondra de la Parra et Carlus Padrissa les retrouvailles de Thamos avec sa ville natale, en l’étoffant de quelques airs de Die Zauberflöte et de Zaide, tout en situant l’intrigue dans un futur proche, évoquant le nouvel esclavage où nous conduit notre relation servile à la technologie.

Comme souvent avec La Fura dels Baus, le résultat visuel est époustouflant. Le vaste plateau du Manège des rochers (Felsenreitschule) et ses célèbres coursives offrent un terrain de jeu idéal à l’énergie créatrice du collectif espagnol. S’y impose d’abord un œil gigantesque, iris vert éclatant, trônant dans une pyramide dessinée aux lasers. Difficile d’échapper à la force du symbole maçonnique !

L’inventivité ne se démentira pas, avec une vidéo très maîtrisée et riche en audaces. Suspendus à des filins, des acrobates escaladent, survolent, courent, flottent sans qu’il soit possible de bien identifier leur rôle, mais le regard est ébloui. Les costumes sont soigneusement dessinés, des justaucorps aux motifs symboliques (hiéroglyphes ou circuits imprimés) aux vastes capes dorées, qu’on suppose imperméables puisqu’elles permettent de recevoir, à grands jets, une forme de baptême.

Un homme gît dans un gigantesque sac, tel un produit alimentaire sous vide. Un arbre décharné orne un côté de la scène et d’étranges instruments de musique, en forme de téléobjectifs, sonnent par intervalles une « musique algorithmique » qui crée une manière d’ambiance électro New-Age, en adéquation avec les défilés de choristes, tout de blanc vêtus, nouveaux pèlerins rivés à leurs téléphones portables.

Dans une alcôve, un autre homme nu se contorsionne, danse lascive et sans objet. Parfois l’on crie, l’on s’apostrophe, les chanteurs, comme un clarinettiste solo, sont suspendus à plusieurs mètres de haut. L’indigestion guette… Une boule de feu éclate, un feu d’artifice en roue embrase le plateau. Tout cela est remarquablement chorégraphié, construit, montré, mais finit par lasser. Comme si Carlus Padrissa et ses comparses de La Fura dels Baus se caricaturaient eux-mêmes, par l’accumulation d’exploits scéniques au détriment de leur cohérence.

Qui plus est, la qualité musicale laisse quelque peu à désirer. Ainsi, le ténor thaïlandais Nutthaporn Thammathi peine à convaincre, à la fois par manque de puissance et de netteté dans l’émission. La soprano égyptienne Fatma Said est plus séduisante, marquant par son joli timbre fruité et une réelle musicalité, l’émotion qui sied à « Ach, ich fühl’s » (Pamina), tout comme l’emportement de « Tiger! Wetze nur die Klauen » (Zaide).

Dominant ces jeunes chanteurs de toute son expérience, René Pape est impressionnant de projection et, surtout, de profondeur, cherchant des graves sépulcraux, qui confèrent à « In diesen heil’gen Hallen » la noblesse élégante qu’on connaît au rôle de Sarastro.

Dans la fosse, et malgré son enthousiasme évident, la Mexicaine Alondra de la Parra peine à imposer une lecture précise. Le manque d’homogénéité des pupitres de l’orchestre (Camerata Salzburg) est particulièrement sensible dans la troisième partie. Les choristes (Salzburger Bachchor) manquent également de conviction, peut-être parce qu’ils sont soumis à un trop important travail scénique.

Cette création-résurrection laisse donc le mélomane sur sa faim. Passé l’émerveillement procuré par l’extraordinaire dispositif visuel, lui succède vite une forme de désarroi, face à un livret pavé de bonnes intentions mais obscur et verbeux et, surtout, à la cannibalisation de la musique par la mise en scène, à force d’acrobaties, de bruitages et d’esbroufe.

S’il s’agissait d’en mettre plein la vue aux spectateurs, le pari est tenu : le public applaudit longuement. Mais ses oreilles ont été abusées…

JEAN-MARC PROUST

PHOTO : © MATTHIAS BAUS

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