Comptes rendus Die Eroberung von Mexico à Salzbourg
Comptes rendus

Die Eroberung von Mexico à Salzbourg

02/10/2015

Angela Denoke (Montezuma)
Bo Skovhus (Cortez)
Susanna Andersson (Sopran)
Marie-Ange Todorovitch (Alt)
Stephan Rehm (Sprecher 1)
Peter Pruchniewitz (Sprecher 2)

Ingo Metzmacher (dm)
Peter Konwitschny (ms)
Johannes Leiacker (dc)
Manfred Voss (l)
fettFilm (v)

Avec le départ prématuré d’Alexander Pereira du Festival de Salzbourg, une seule de ses quatre commandes, Charlotte Salomon de Marc-André Dalbavie, aura été créée in loco, à l’été 2014. En effet, Fin de partie de György Kurtag, enfin achevée, sera présentée à la Scala de Milan, en novembre 2016.

Die Eroberung von Mexico (La Conquête du Mexique) de Wolfgang Rihm date de 1992 et compte déjà de nombreuses productions, notamment celle de Pierre Audi pour le Teatro Real de Madrid, en 2013 – dont la bande-son a été réutilisée ici. Autre avatar : la défection de Luc Bondy, d’abord prévu, et son remplacement par le bouillant Peter Konwitschny, qui, pour ses 70 ans, aborde Rihm pour la première fois, et pour ses débuts à Salzbourg.

L’espace exceptionnel du Manège des rochers (Felsenreitschule) se révèle de nouveau extraordinairement performant, renouant ainsi brillamment avec le succès des Nono, Zimmermann ou Birtwistle des années précédentes. L’essentiel de l’orchestre est dans la fosse, mais avec trois estrades de cuivres et percussions, au milieu des côtés et tout en haut des gradins.

Avec une ample diffusion de la bande-son, qui paraît surgir de partout et nulle part, l’immersion sonore recherchée par Rihm est parfaitement réussie. Et l’auditeur ne résiste pas à ce maelström, puissamment évocateur de la confrontation des civilisations et des sexes qu’évoquent, par images symboliques et -archétypales, la pièce d’Antonin Artaud et le poème d’Octavio Paz que lui a adjoint le compositeur.

Peter Konwistchny n’a rien voulu abdiquer de son droit de regard, réintroduisant une histoire dont la lisibilité et la force d’impact indéniables viennent aussi réduire considérablement l’aura que dégage cet affrontement d’univers situés au-delà des contingences du temps. Sur la vingtaine de carcasses de voitures aux phares allumés, le centre de la scène est occupé, en décor fixe, par la neutralité d’un intérieur bourgeois d’aujourd’hui. Montezuma attend Cortez, qui vient, bouquet de fleurs rouges à la main, faire sa déclaration, suscitant, comme à plusieurs reprises ensuite, les rires du public, dont on peut douter que Rihm les ait vraiment souhaités.

L’inévitable « collage » du couple, après violences conjugales diverses, aboutira, au début de la seconde partie, à un accouchement public, Montezuma mettant au jour une portée bien fournie… d’ordinateurs portables, qui vont déchaîner un impressionnant torrent d’images de guerre, aussi bien que de jeux télévisés. Avant qu’un beau tableau, remarquablement éclairé par Manfred Voss, ne donne la fin « montéverdienne » de l’œuvre : les deux héros, assis côte à côte sur le canapé, au-dessus duquel trône, depuis le début, le fascinant Cerf blessé de Frida Kahlo (1946) – image bien choisie, qui suffit à dire ses relations difficiles avec Diego Rivera, ceci pour l’affrontement féminin/masculin.

La communication des sexes n’aura pas été possible, et Cortez l’aura compris trop tard, au milieu du cataclysme généralisé – un espoir ultérieur, ou dans un au-delà, n’étant cependant pas à écarter. Toujours brillant dans sa direction d’acteurs et percutant dans ses effets, Peter Konwitschny ramène, du même coup, la parabole au prosaïsme de l’anecdote contemporaine, déniant tout pouvoir d’évocation supérieure à la si complexe et impressionnante musique.

Le couple des héros est parfait, scéniquement et vocalement, dans des parcours pourtant plus qu’ardus. Aussi bien pour la petite silhouette volontaire, mais aussi comme vouée aux avanies, d’Angela Denoke que pour la haute et agile stature de Bo Skovhus, dans les déchaînements d’un machisme exacerbé, comme dans les moments d’abattement.

Marie-Ange Todorovitch joue sans faille de son superbe mezzo, tandis que la colorature vertigineuse et perçante de Susanna Andersson, déployée sans mesure, ferait craindre pour la santé de sa voix. Mêmes parfaites prestations pour Stephan Rehm et Peter Pruchniewitz, déjà présents dans les productions de Francfort (2000) et Madrid (2013).

Comme toujours impressionnant d’autorité tranquille et de maîtrise, Ingo Metzmacher (créateur de l’œuvre, qu’il a enregistrée pour CPO, il y a vingt ans), à la tête d’un impeccable ORF Radio-Symphonieorchester Wien, retiendrait presque plus l’attention, rassurant davantage sur la pérennité de l’ouvrage que le bombardement d’effets chocs de la partie visuelle.

FRANÇOIS LEHEL

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