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Anita Cerquetti

26/02/2015

En seulement dix années de carrière, sans avoir jamais mis les pieds dans les principaux temples de l’art lyrique, Scala de Milan exceptée, et avec un physique qui l’aurait fait récuser par la plupart des metteurs en scène et directeurs de théâtre d’aujourd’hui, la soprano italienne, disparue le 11 octobre dernier, a laissé une trace indélébile dans la mémoire de très nombreux mélomanes, conquis par l’une des plus somptueuses voix de soprano lirico spinto/drammatico du XXe siècle.

102_-_IN_MEMORIAM_-_anita_cerquettiAu moment d’écrire cet hommage à Anita Cerquetti, j’ai eu envie de réécouter l’album qu’elle grava pour Decca en 1957, la même année qu’une électrisante intégrale de La Gioconda, uniques témoignages en studio d’une carrière interrompue à l’âge de 29 ans (!). Et, comme la toute première fois, j’ai été immédiatement saisi par l’extraordinaire magnétisme de ce timbre, soutenu par une émission d’une homogénéité et d’une solidité sans faille.
La noblesse du legato (« Casta diva »), les capacités virtuoses (le « Boléro » d’I vespri siciliani) sautent ensuite aux oreilles, sans oublier cet « accent » typiquement verdien dans la manière de sculpter le mot, dont Riccardo Muti regrettait, dans ces colonnes, la disparition chez les chanteurs d’aujourd’hui (voir O. M. n° 73 pp. 10-17 de mai 2012). On s’en aperçoit, plus particulièrement, dans les cavatines d’Abigaille et Elvira d’Ernani, malheureusement privées de leurs cabalettes – comme celle de Norma – par la durée des microsillons d’autrefois.
Par son séduisant mélange de sensibilité et de sobriété dans l’accent, « Vissi d’arte » fait regretter que la soprano italienne n’ait quasiment pas servi le répertoire post-verdien. Quant aux deux extraits de l’intégrale de La Gioconda, offerts en bonus – dont le duo de l’acte II, avec une Giulietta Simionato déchaînée –, ils confirment l’exceptionnel tempérament dramatique d’une artiste aussi à l’aise dans les imprécations pré-véristes de Ponchielli que dans les extases belcantistes de Bellini. Au risque de me répéter, je maintiens qu’Anita Cerquetti est, avec Maria Callas, la meilleure Gioconda de la discographie !
Et puis, au milieu de l’album, il y a l’incroyable « O Re dei Cieli », tiré de la traduction italienne d’un opéra méconnu de Spontini : Agnes von Hohenstaufen (1829). J’ai beau les avoir écoutées un nombre incalculable de fois, je craque à tous les coups devant ces 3’40 chargées d’électricité et d’émotion qui résument, à elles seules, l’art d’Anita Cerquetti. La splendeur de cette voix s’écoulant comme un torrent, l’énergie déployée dans la conduite de la phrase (sans même parler de la beauté de la musique) n’ont que peu d’équivalents dans l’histoire du disque.
Ce CD, paru il y a vingt ans dans la collection « Grandi Voci » de Decca – à quand sa ­réédition ? –, reste la meilleure porte d’entrée pour découvrir Anita Cerquetti. Ensuite, il faut bien sûr se tourner vers ses intégrales sur le vif, en priorité l’enthousiasmant Ernani du Mai Musical Florentin et les fulgurantes Vespri siciliani de la RAI. Pour regretter, une fois encore, que la cantatrice se soit arrêtée aussi tôt – des spasmes du nerf trijumeau, dus au stress de la carrière, ont fini par l’empêcher de chanter dans des conditions de confort optimal – et ne se soit jamais produite sur des scènes de l’envergure du Covent Garden de Londres, du Staatsoper de Vienne, de l’Opéra de Paris ou du Metropolitan Opera de New York. Elle y aurait fait un malheur !

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