Intermezzo Il était une fois l’Italie
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Il était une fois l’Italie

04/01/2023
Mario Martone © Mario Spada
© Mario Spada

Alors que son nouveau film, Nostalgia, présenté au dernier Festival de Cannes, sort en salle, le réalisateur et metteur en scène de théâtre et d’opéra Mario Martone demeure encore trop méconnu en France. L’occasion d’en savoir plus sur cet artiste d’envergure, profondément humaniste, qui aime sentir le pouls de l’Italie.

Il est de ces réalisateurs qui courent le monde sans s’arrêter et qui vous surprennent à chaque fois, là où vous ne les attendez pas forcément. Telle est la nature du metteur en scène napolitain Mario Martone, qui dévoile une autre facette de lui-même dans son nouveau film, Nostalgia, l’histoire d’un Napolitain qui, après quarante ans d’absence, revient sur sa terre natale pour faire face à son passé. « Dans toute création, il y a une part d’autobiographie. Je parcours le monde depuis mon adolescence. J’aime par-dessus tout voyager à travers les genres et ne peux m’empêcher de passer du théâtre, au cinéma, à l’opéra », nous confie-t-il d’emblée.

Sur scène ou sur grand écran, Mario Martone se plaît à surprendre le public en traitant de personnages contemporains, comme dans Nostalgia, ou de grands artistes italiens, comme dans ses biographies du poète Giacomo Leopardi (Il giovane favoloso, 2014) ou de l’acteur napolitain du début du XXe siècle, Eduardo Scarpetta (Qui rido io, 2021, inédit en France). Pour l’opéra, le principe est similaire, comme il s’en explique: « Quand un directeur me propose un nouvel opéra à mettre en scène, je commence toujours par faire tabula rasa. J’écoute la musique et je reste fidèle au livret. Soit je décide de l’inscrire dans son époque, soit j’en livre une version contemporaine, qui parle du monde actuel. C’est systématique. »

Un artiste du verismo

À l’inverse de son acolyte Paolo Sorrentino, qui se rapproche plus d’un Fellini et de la culture populaire, Mario Martone plonge davantage du côté du romantisme et du vérisme pour se tenir au plus près de la réalité et délivrer un message sur le monde qui nous entoure. Pour mieux comprendre l’Italie d’aujourd’hui, les films de Mario Martone sont à bien des titres indispensables, comme peuvent l’être ceux d’un Marco Bellocchio. « Nostalgia est aussi une réponse au retour de l’extrémisme qui sévit en Europe, en particulier en Italie avec l’élection récente de Giorgia Meloni, souligne-t-il. Le personnage principal revient du Moyen-Orient et partage avec la jeune génération italienne sa culture, en particulier la musique et la danse. Un symbole fort, ouvert sur le futur, sur l’acceptation de l’autre et un exemple de vivre ensemble, en particulier dans cette ville de Naples qui a toujours été une terre d’accueil et d’immigration. » Une thématique que l’on retrouve aussi dans son film Capri-Revolution (2018), qui conte l’histoire d’une jeune communauté issue d’Europe du Nord dont les idées progressistes viennent bousculer la vie traditionnelle de certains Capriotes. Autant de sujets qui font de lui un digne héritier d’un Francesco Rosi et du cinéma italien à la fois académique et social.


Perfrancesco Favino dans Nostalgia, le dernier film de Mario Martone. © Mario Spada

Prima la musica

Si une certaine rébellion se fait sentir chez Mario Martone, elle n’est pas flagrante, mais transparaît en filigrane. Enfant précoce du théâtre, il commence son activité à 17 ans avant de connaître rapidement la notoriété, dès l’âge de 22 ans, grâce à sa troupe avant-gardiste Falso Movimento. Il rencontre ensuite le succès aux côtés du célèbre acteur Toni Servillo et enchaîne quelques projets pour la télévision, avant de réaliser, en 1992, son premier film, Mort d’un mathématicien napolitain, autour de l’anticonformiste Renato Caccioppoli, qui, après quelques actes de révolte face au fascisme, finira, alcoolique, par se suicider.

L’opéra viendra bien plus tard, précisément à l’âge de 40 ans, en l’an 2000, avec Così fan tutte de Mozart, sous la direction d’un certain Claudio Abbado. « Avec ces règles bien spécifiques liées au nombre limité de services pour l’orchestre et les chanteurs, j’ai toujours eu peur de ne pas me sentir assez libre à l’opéra. Mon expérience avec Abbado fut si imprégnante que j’ai ensuite mis en scène Don Giovanni et Les Noces de Figaro en respectant toujours la musique de Mozart et le livret de Da Ponte. J’étais prêt pour l’opéra. »

D’une trilogie à une autre

En vingt ans de carrière à l’opéra, Martone aura abordé différents genres, entre le classicisme de Mozart, le bel canto de Rossini (Matilde di Shabran, en 2004, à Pesaro), le romantisme de Beethoven (Fidelio, en 2011, à l’Opéra de Liège), jusqu’au vérisme de Giordano, avec Fedora, en octobre dernier à la Scala de Milan, dans lequel Roberto Alagna interprétait le comte Ipanov. En France, le public parisien aura pu découvrir son travail avec tout d’abord Falstaff, en 2008, puis Macbeth, en 2015, au Théâtre des Champs-Élysées, avant de passer par la case Bastille avec le diptyque Cavalleria rusticana de Mascagni et Sancta Susanna de Hindemith, en 2016.

Alors qu’il s’apprêtait à mettre en scène La Clémence de Titus de Mozart pour l’Opéra de Rome, en 2020, le Covid en a décidé autrement, pour finalement donner naissance à une nouvelle trilogie, cette fois-ci filmée pour la télévision. « Avec la fermeture des théâtres, l’Opéra de Rome et la Rai m’ont proposé en pleine pandémie de réaliser, en novembre 2020, une captation du Barbier de Séville, de Rossini, filmé dans la salle et sur la scène de l’opéra. J’ai dit oui, mais à condition d’avoir à disposition l’orchestre et de le faire sans aucun play-back, naturellement. »


Federica Lombardi dans La Bohème. © Fabrizio Sansoni

Federica Lombardi dans La Bohème. © Fabrizio Sansoni

Cannes versus l’opéra

Fort de ce premier succès, Martone enchaînera avec La Traviata de Verdi en avril 2021, filmée cette fois dans l’ensemble du théâtre, des loges des chanteurs jusqu’aux loggias, escaliers et galeries, et qui remportera un record d’audience avec plus d’un million de téléspectateurs pour la chaîne italienne. L’équipe rempilera une troisième fois, en avril 2022, avec La Bohème de Puccini, filmée dans la ville même et dans les ateliers de l’opéra, « une réalisation qui rend ainsi hommage à tous ceux qui travaillent derrière le rideau, à savoir les costumiers, les perruquiers, les techniciens ou encore les accessoiristes », précise-t-il.

Entre les marches de Cannes et la scène des plus grands opéras du monde, son choix est fait: « Ces pluies de paillettes ne durent que quelques secondes et ne sont rien comparées aux moments vécus durant les répétitions, sur la scène ou sur un plateau de cinéma. » En boulimique de travail, Mario Martone s’attelle déjà à son prochain film, qui évoquera la vie de la comédienne et autrice Goliarda Sapienza. Quant à l’opéra, il ne serait pas étonnant de le voir prochainement aux manettes d’une adaptation cinématographique d’une œuvre du répertoire. Pour l’heure, destination les États-Unis, où Nostalgia représentera l’Italie aux prochains Oscars. Evviva Martone !

EDOUARD BRANE

Un article paru dans LYRIK n°3.

À voir :

Nostalgia sort en salle le 4 janvier 2023.

En replay :

La Bohème de Giacomo Puccini, dirigée par Michele Mariotti, avec Federica Lombardi, Valentina Naforniţa, Jonathan Tetelman, Davide Luciano, Roberto Lorenzi et Giorgi Manoshvili.

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