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Comptes rendus

Parsifal en mémoire d’Eva Kleinitz à Strasbourg

30/01/2020

Opéra, 26 janvier

En passant commande à Amon Miyamoto d’une nouvelle production de Parsifal, en 2018, la regrettée Eva Kleinitz, ancienne directrice générale de l’Opéra National du Rhin, lui avait donné comme consigne : « Faites-le comme vous voulez. » Le metteur en scène japonais l’a prise au mot, signant un spectacle tellement touffu qu’il en devient parfois difficile à suivre, mais dont nous nous souviendrons.

Pendant le Prélude, une pantomime nous montre un ado d’aujourd’hui (joué par Mathis Spolverato), en plein conflit avec sa mère. Celle-ci l’emmène dans un musée, dédié à l’histoire de l’Humanité, où elle travaille comme restauratrice, et le laisse parcourir les salles. Dans l’une d’elles, décorée de célèbres tableaux de la Crucifixion et de la Déposition du Christ (Bosch, Caravage, Rubens…), des personnages habillés comme au Moyen Âge font leur entrée, guidés par Gurnemanz.

Le décor change à la mort du cygne, entraînant le spectateur dans une autre salle, cette fois ornée d’une toile d’inspiration romantique, représentant une forêt d’un vert profond. On y découvre un Parsifal en sweat et jeans noirs, besace en bandoulière, sorte de double adulte de l’ado en visite, qui réapparaîtra régulièrement à ses côtés.

Après une « transformation » représentée par un vortex tourbillonnant sur un écran, Amon Miyamoto nous conduit dans le laboratoire du musée. Sur les côtés, des vitrines contenant des morceaux de statues du Christ. Au centre, une table métallique au-dessus de laquelle la mère restauratrice déploie le Saint-Suaire, sous le regard d’un groupe de guerriers blessés surgis de toutes les époques : samouraïs, croisés, poilus, conquistadors…

Sorte de momie démaillottée conservée dans une cage en verre, Titurel en sort pour boire le sang de son fils, tiré directement de son flanc dans une coupe dorée empruntée aux collections du musée, puis y retourne, ostensiblement ragaillardi.

Le début du II se passe dans la salle des caméras de surveillance, où le chef de la sécurité, alias Klingsor, harcèle sexuellement la mère, sous le regard horrifié et dégoûté de son fils. Il sera évidemment puni de son crime à la fin de l’acte par Parsifal, non sans avoir auparavant transpercé de sa lance l’adolescent.

Au III, on retrouve la salle des tableaux, mais ceux-ci sont désormais floutés et, pour certains, déposés sur le sol. Parsifal revient, portant sur l’épaule le cadavre de son double, puis pose ses mains sur la tête de Kundry, qui lui a lavé les pieds dans une bassine. La magicienne s’envole alors vers les cieux.

Pendant la scène finale, alors qu’un Amfortas récalcitrant est sur le point d’être à nouveau torturé, Parsifal brandit la lance qu’il a ramenée, répand une lumière guérissant toutes les blessures, et ressuscite le garçon, avant que Kundry ne traverse les airs habillée en ange. L’adulte et l’adolescent s’étreignent, puis le premier disparaît dans la forêt du tableau, laissant mère et fils seuls, enlacés, s’effaçant progressivement derrière une immense projection de la Terre dérivant dans l’univers.

Quel bilan peut-on en tirer ? D’abord, le spectacle est beau, fluide (grâce au plateau tournant, qui permet de passer sans cassure d’une salle à l’autre), fignolé jusque dans le moindre détail, avec des décors remarquablement réalisés et de superbes éclairages. Ensuite, malgré quelques pannes, la direction d’acteurs est réelle, notamment dans le cas de Parsifal.

Les thèmes centraux de l’opéra sont bien présents : punition, rédemption, résurrection, réconciliation, passage de l’enfance à l’âge adulte, rôle de la nature… Et puis, il n’est pas désagréable, après tant de mises en scène bannissant toute référence au christianisme, de le voir revenir en force.

Toute médaille ayant son revers, on ne peut que regretter une prise de tête parfois excessive, liée à la sur-accumulation d’éléments signifiants et à l’imbrication de deux histoires se déroulant dans des univers parallèles (le quotidien d’une mère et son fils, d’un côté, la légende du Graal revue par Wagner, de l’autre). Le garçon est-il Parsifal enfant, comme mentionné dans la distribution, ou la réincarnation de Parsifal adulte ? L’adulte n’est-il pas, plutôt, une projection fantasmatique surgie de l’esprit du garçon ? Autant de questions qui irritent à la longue.

Par ailleurs, au-delà de références un peu trop soulignées (notamment au Parsifal de Hans-Jürgen Syberberg), on déplorera quelques maladresses et incongruités : l’homoncule desséché représentant Titurel, au III, tout droit sorti d’un film gore de série B ; ou, surtout, l’apparition occasionnelle d’un singe, échappé de la galerie de l’Évolution du musée, voulu comme un « symbole d’innocence », mais mal utilisé et tombant systématiquement comme un cheveu sur la soupe.

Par chance, de réels moments d’émotion se détachent, notamment un tableau final baigné de spiritualité, qui prend une connotation toute particulière, huit mois après la tragique disparition d’Eva Kleinitz, à l’âge de 46 ans, à laquelle la production est dédiée.

Inégale, la distribution est dominée par les titulaires de Parsifal et Gurnemanz, tous deux en prise de rôle et membres de la troupe du Deutsche Oper de Berlin. Comme tous les ténors lyriques, Thomas Blondelle n’a pas tout à fait le métal dans l’aigu ni la robustesse du médium nécessaires ici, comme le révèlent quelques traces de fatigue, au III. Mais le chanteur belge compense par un timbre à la fois singulier et prenant, un engagement de tous les instants,  ainsi que de remarquables dons d’acteur.

Ante Jerkunica, cueilli à froid par les longues péroraisons du début du I, donne d’abord l’impression de flotter dans les habits de Gurnemanz, jusque dans sa difficulté à contrôler un vibrato envahissant dans l’aigu. Mais la basse croate trouve progressivement ses marques, pour culminer dans un III remarquablement conduit sur le plan vocal.

Un cran en dessous, Simon Bailey chante correctement en Klingsor, mais son timbre trop clair l’empêche de sonner véritablement menaçant. Konstantin Gorny, sans marquer les mémoires, ne démérite pas en Titurel, l’Amfortas routinier de Markus Marquardt manquant cruellement, en revanche, de présence.

Catastrophique, enfin, la Kundry de Christianne Stotijn, malgré un physique adéquat. Privée de stabilité dans la partie supérieure du registre, la voix bouge désespérément sur le moindre aigu, au point d’obliger la mezzo néerlandaise à escamoter les notes, voire à les remplacer par d’autres !

Une mention pour les excellents Chevaliers et Écuyers – presque tous issus de l’Opéra Studio de l’Opéra National du Rhin –, nettement préférables à un groupe de Filles-Fleurs mal appariées et criardes. Renforcés par ceux de l’Opéra de Dijon, les chœurs de l’ONR tirent plutôt bien leur épingle du jeu, surclassés, pourtant, par une Maîtrise de l’ONR à la sonorité ravissante et homogène.

Au pupitre, Marko Letonja déploie des trésors de tendresse et de spiritualité. Quand la mise en scène devient trop complexe, au risque de tuer l’émotion, c’est le chef slovène qui ramène celle-ci dans la fosse, en tirant le maximum d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg que l’on aurait souhaité plus soyeux et vigilant.

RICHARD MARTET

PHOTO © KLARA BECK

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