Opéras Turandot vulgaire et toc à Bruxelles
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Turandot vulgaire et toc à Bruxelles

04/07/2024
Ewa Vesin (Turandot). ©MatthiasBaus

La Monnaie, 21 juin

On pourrait prendre cette nouvelle production de Turandot, qui clôt la saison 2023-2024 de la Monnaie de Bruxelles, pour un énième avatar du « Regietheater », qui règne depuis si longtemps sur le monde de l’opéra, et dont on commence sérieusement à percevoir les limites. Mais non, ce n’est même pas cela. Juste un ratage total, qui se voudrait chic et choc, alors qu’il n’est que vulgaire et toc…

La faute en incombe, essentiellement, au metteur en scène belge Christophe Coppens – également responsable des décors, avec le studio I. S. M. Architecten, et des costumes –, qui transpose l’action de nos jours, à Hong Kong, ou dans quelque autre mégalopole asiatique, au dernier étage d’un immeuble de luxe, où vivent des milliardaires, collectionneurs d’art contemporain.

Turandot y est, bien sûr, la fille de la famille, jeune femme solitaire, capricieuse et excentrique, qui n’a connu que des « fêtes fastueuses et des visages pomponnés à la perfection », et vit dans la crainte et la haine des hommes. Altoum n’est plus son père, mais sa mère, puisque, pour bien souligner que l’héroïne n’a connu qu’un environnement féminin, le rôle a été confié, non à un ténor, mais à la mezzo chinoise Ning Liang…

Liù et Timur font partie du personnel de la maison, et Calaf, en smoking d’un bout à l’autre, appartient au groupe des nombreux invités de la réception permanente, qui semble s’y dérouler. Quant à Ping, Pang et Pong, ils sont tantôt des amis de Turandot, en survêtements et jeans lacérés, tantôt, eux aussi, des membres du personnel ou des invités, sans qu’on comprenne pourquoi.

Sur le papier, l’idée aurait pu être séduisante. Mais, comme Christophe Coppens laisse les chanteurs se livrer aux pires stéréotypes, faute de savoir les diriger, sa mise en scène se réduit à quelques effets absurdes – comme le fait d’avoir installé, au dernier acte, une sorte de promontoire, sur lequel Calaf et Liù interprètent leurs airs –, renforçant encore, s’il en était besoin, l’impression d’un abandon de théâtre.

Le comble est atteint juste après la mort de Liù, quand, d’un tableau abstrait, représentant une béance, sort un corps d’homme, nu et ensanglanté – le Prince de Perse, décapité au I, après qu’on a pris soin de le dévêtir intégralement –, et qui, évidemment, symbolise la fin de la virginité de Turandot…

Puis, pendant le finale – d’Alfano –, la police scientifique s’agite autour du cadavre, prenant des photos et des mesures, tandis que l’héroïne chante son duo avec un Calaf hors plateau, qu’elle voit à travers un écran de télévision, placé dos aux spectateurs !

Une telle vulgarité finit par déteindre sur les forces musicales. Sous la baguette du chef franco-suisse Ouri Bronchti, initialement prévu pour quatre représentations, mais qui, suite à la défection, pour raisons de santé, de Kazushi Ono, a fini par les diriger toutes, l’Orchestre Symphonique de la Monnaie sonne fort, pâteux et lourd. Les Chœurs s’en tirent mieux, mais comme ils semblent engoncés dans leurs costumes, et coincés en fond de scène, où on les a relégués !

La distribution va dans le même sens. Ewa Vesin, qui parcourt rageusement le plateau en escarpins Louboutin, hurle Turandot, au mépris de toute nuance et de toute subtilité stylistique. Certes peu aidée par Christophe Coppens, qui en fait une poupée boudeuse et tête à claques, la soprano polonaise pourrait, tout de même, prendre davantage soin de sa ligne.

On adressera, peu ou prou, le même reproche au Calaf de Stefano La Colla, caricature de ténor italien, poussant la note, la main sur le cœur. Mais, au moins, la couleur est-elle belle, et son « Nessun dorma ! », paradoxalement, chanté avec une certaine retenue.

La Liù de Venera Gimadieva surprend, d’abord, par un timbre voilé, mais, rapidement, la voix de la soprano russe se libère, s’épanouit et offre, par ses rondeurs, quelques-uns des meilleurs moments de la soirée. Si les trois Ministres font preuve de verve et de brio, la basse italienne Michele Pertusi prête à Timur un jeu outrancier.

L’anathème jeté, en son temps, par Gerard Mortier sur le compositeur, planerait-il encore sur les lieux ? Puccini, en tout cas, ne réussit pas à la Monnaie.

PATRICK SCEMAMA

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