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Lucie française à Tours

09/02/2023
© Marie Pétry

Grand Théâtre, 5 février

La France n’avait plus affiché Lucie de Lammermoor – adaptation française de Lucia di Lammermoor (Naples, 1835), de la main de Donizetti – depuis la production présentée à l’Opéra de Lyon, puis à Paris, au Théâtre du Châtelet, en 2002. Rappelons qu’il ne s’agit, en aucun cas, d’une simple traduction de l’original italien, mais d’une complète refonte de la partition, dans la perspective d’une série de représentations au Théâtre de la Renaissance, à l’été 1839.

La conduite dramatique est resserrée, avec, en particulier, la disparition des personnages d’Alisa et de Normanno, fondus en Gilbert, vrai traître de mélodrame. Quant à l’héroïne, le remplacement, pour son entrée, du sombre « Regnava nel silenzio » par le bien plus décoratif « Que n’avons-nous des ailes… » montre une vocalité assez différente de la Lucia d’origine.

Pour cette coproduction entre les Opéras de Tours et de Québec, la mise en scène de Nicola Berloffa, qui signe aussi les beaux costumes XIXe – l’action est transposée à l’époque de la création –, se déroule sur un plateau dépouillé à l’extrême, habillé tantôt de quelques chaises, parfois d’une table, espace abstrait pouvant sembler un peu court pour suggérer la multiplicité des lieux du livret. Ce choix permet, en tout cas, de se concentrer sur l’action intérieure, en laissant tout loisir aux voix d’incarner le drame.

Joanna Natalia Slusarczyk aborde son premier opéra avec compétence et rigueur, même si l’on eût aimé voir l’élégance du geste s’accompagner de davantage d’urgence dans les moments dramatiques et d’abandon dans les passages pathétiques. Sans doute un spectacle aussi austère eût-il gagné à une direction plus imaginative et colorée, donnant à entendre ce que la partie visuelle nous refuse. Dommage, enfin, que la jeune cheffe polonaise, qui montre un louable souci de ne pas couvrir les chanteurs, n’ait pas obtenu davantage de nuances de la part de certains.

Jean-Fernand Setti fait valoir, en Raymond –partie drastiquement coupée dans cette version française –, sa voix longue et sonore, et son autorité. À l’inverse, le rôle d’Arthur est étoffé, et Kevin Amiel lui prête son timbre ensoleillé et son lyrisme naturel. Mais Yoann Le Lan, l’autre second ténor, impressionne plus encore par son éloquence, conférant à Gilbert un relief saisissant.

En Henri, Florian Sempey s’en donne à cœur joie pour jouer les « méchants », avec une voix brillante et mordante, aux fa, sol et la aigus glorieux, mais comme toujours saturée de son. Les rares moments où le baryton français consent à se plier à la nuance piano, font regretter qu’ils ne soient pas plus nombreux. Chanter le plus fort possible, tout le temps, dans un théâtre de dimensions modestes, est aussi inutile que contre-productif, en termes de caractérisation. Surtout, cela finit par être épuisant pour l’auditeur.

Seul non-francophone du plateau, l’Edgard de Matteo Roma affiche une voix franche et saine, aux aigus aisés, mais encombrée parfois d’accents véristes, avec coups de glotte et portamenti. Sa prononciation sonne très exotique, quoique intelligible, mais le personnage touche par son ardeur et sa sincérité. Et la scène finale  trouve le jeune ténor italien très inspiré, à l’aise dans cette écriture tendue et large, montrant un cantabile et des nuances en voix mixte du plus bel effet dans « Ô bel ange ».

Enfin, dans le rôle-titre, Jodie Devos confirme son virage vers une vocalité plus lyrique que ce qui a fait sa réputation. Certes, la virtuosité est toujours habile, et les aigus sont sûrs. Mais les contre-notes sont dispensées avec parcimonie (des contre-ut un peu partout, un ré piqué en passant dans sa première cabalette, un magnifique ré tenu pour conclure le finale du II) et, dans la scène de la folie, ici en fa (soit un ton plus haut que la version courante), il n’y a ni cadence vertigineuse pour concurrencer la flûte, ni variation suraiguë de tradition.

Cette Lucie, moins axée sur la performance pyrotechnique que sur l’émotion, émeut et intéresse constamment, avec un bel art du chiaroscuro et du forte/piano, et une chair dans le médium qu’on ne connaissait pas à cette voix d’essence légère. Une belle prise de rôle, qui devrait permettre à la soprano belge d’aborder d’autres rivages.

Ce spectacle, donné à guichets fermés – présenté deux fois, au lieu des trois habituelles –, a remporté un grand succès. Autant, sans doute, pour saluer la réussite artistique que pour manifester le soutien du public à un Opéra traversant une grave crise, ainsi que l’ont expliqué différentes prises de parole, avant le lever de rideau.

THIERRY GUYENNE


© Marie Pétry

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