À la veille de son premier Lohengrin, à Strasbourg, à partir du 10 mars, Michael Spyres consacre un récital à Wagner, mais sous un angle original, consistant à montrer tout ce que le compositeur doit à certains de ses prédécesseurs, allemands, français et italiens. Un programme passionnant, une exécution vocale et orchestrale hors pair : un album à marquer d’une pierre blanche.

En appelant, en conclusion de mon éditorial du numéro de février, au retour d’Agnes von Hohenstaufen de Spontini, dans sa version originale allemande, j’ignorais que Michael Spyres avait inclus, en première mondiale, l’air d’Heinrich, à l’acte II, dans son nouveau récital pour Erato, gravé en studio, en décembre 2022. Il constitue l’une des pépites d’un album à marquer d’une pierre blanche.

Cryptiques, pochette et titre laissent planer le mystère sur le propos du ténor américain. C’est en lisant son texte de présentation que l’on comprend son objectif : montrer comment Wagner a été influencé par certains compositeurs ­allemands, français et italiens, sans que ce phénomène n’apparaisse jamais vraiment en pleine lumière – d’où le titre In the Shadows (Dans l’ombre).

Méhul, Beethoven, Rossini, Meyerbeer, Weber, Auber, Spontini, Bellini et Marschner occupent donc les neuf premières plages, avant Wagner pour les trois dernières, le talent de Michael Spyres étant d’avoir choisi des airs servant à la perfection son propos. On entend, effectivement, dans Die Feen, Rienzi et Lohengrin, tout ce que l’écriture vocale et/ou orchestrale doit à Joseph, Fidelio, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Il crociato in Egitto, Der Freischütz, La Muette de Portici, Agnes von Hohenstaufen, Norma et Hans Heiling.

À ces pages, toutes magnifiquement inspirées, Michael Spyres apporte une voix plus sombre et placée plus bas qu’à ses débuts, burinée par près de vingt années de carrière menées tambour battant, mais toujours capable de saisissants allègements dans le haut médium et l’aigu.

Recherchant moins l’exploit que dans ses précédents récitals (ne pas manquer, quand même, l’hallucinante descente sur près de trois octaves, dans la cadence de l’air de Leicester, au II ­d’Elisabetta !), le ténor déploie des trésors de phrasé et d’émotion dans les passages lents : bouleversante « Prière » de Rienzi, déchirants « Adieux » de Lohengrin.

Parallèlement, il apporte aux cabalettes une facilité et un punch sidérants, notamment celle de Pollione, au I de Norma (dommage, surtout avec un Flavio aussi brillant que Julien Henric, d’avoir coupé le récitatif de la scène, sans doute parce qu’il excédait la longueur du CD). Et, dans tous les répertoires, quelle netteté de prononciation !

À la tête de ses Talens Lyriques, jouant sur instruments d’époque (cela peut surprendre dans Wagner !), et d’un excellent Jeune Chœur de Paris, Christophe Rousset est le partenaire idéal. Épousant la démarche de Michael Spyres, il conduit un discours orchestral aussi puissant, ­éloquent et stimulant que le sien.

RICHARD MARTET

Michael Spyres, In the Shadows
Joseph, Fidelio, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Il crociato in Egitto, Der Freischütz, La Muette de Portici, Agnes von Hohenstaufen, Norma, Hans Heiling, Die Feen, Rienzi, Lohengrin
Julien Henric (ténor)
Jeune Chœur de Paris, Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
1 CD Erato 5054197879821

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