Opéras Il ritorno d’Ulisse in patria à Crémone
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Il ritorno d’Ulisse in patria à Crémone

27/06/2025
© Lorenzo Gorini

Teatro Ponchielli, 13 juin

Pour sa 42e édition, le Festival Monteverdi de Crémone s’ouvre sur une production d’Il ritorno d’Ulisse in patria (1640), portée par l’éloquente mise en scène de Davide Livermore et la direction inspirée de Michele Pasotti. Si la scénographie s’impose par la force de sa vision, la direction musicale séduit par le raffinement de ses couleurs et l’inventivité érudite de ses choix. Dès le lever de rideau, l’intelligence de l’approche scénique se révèle dans une appropriation rigoureuse du livret de Giacomo Badoaro, une direction d’acteurs quasi chorégraphique, et une lisibilité poétique peu commune.

Elle s’enracine dans l’esthétique du néoréalisme italien, auquel Livermore rend un hommage explicite en convoquant les univers de Visconti (La terra trema) et de Rossellini (Stromboli), où Ithaque devient un monde âpre, dépouillé, à la fois mythique et étrangement familier. De cette filiation naissent des images d’une acuité saisissante : la nudité exposée, presque déchirante, de L’Umana Fragilità ; la brutalité latente des prétendants, piégés par leur convoitise alors qu’ils dépouillent La Fortuna pour mieux séduire Pénélope ; ou encore l’épure visuelle des tableaux conçus par Eleonora Peronetti – décors, accessoires, vidéos –, où la mer, les reliefs, le palais composent un théâtre sobre et tendu, au service des forces morales et symboliques qui irriguent le récit. Cette cohérence visuelle doit également à la qualité esthétique des costumes d’Anna Verde, d’une élégance expressive sans ostentation, ainsi qu’à la beauté des éclairages d’Antonio Castro, dont les clairs-obscurs sculptent l’espace avec une grande précision dramatique.

La distribution, majoritairement italienne, enchante par sa verve déclamatoire, son naturel et l’énergie de ses incarnations. Mauro Borgioni campe un Ulisse d’autorité tranquille : dès sa première apparition, il s’impose par un chant ductile, modelé avec finesse et profondeur. Margherita Sala incarne une Penelope bouleversante, portée par une voix charnelle, vibrante et intensément habitée. Parmi les autres interprètes notables, citons le lyrisme ample de Luigi De Donato (Il Tempo / Nettuno), le piquant de Giulia Bolcato (Amore / Giunone), l’aplomb de Valentino Buzza (Giove), la présence fiévreuse d’Arianna Vendittelli (Minerva), l’engagement de Chiara Osella (L’Umana Fragilità), la candeur vibrante de Jacob Lawrence (Telemaco), sans oublier le retour inattendu de Livermore lui-même sur scène, dans le rôle d’Iro, incarné avec une aisance jubilatoire.

Sur le plan musical, Michele Pasotti embrasse la partition de Monteverdi avec une passion manifeste. Il opte pour un instrumentarium généreux, laissant s’épanouir des timbres capiteux qui trouvent un écrin idéal dans l’acoustique du Teatro Ponchielli. Là où certains puristes s’en tiennent à l’effectif originel – six à neuf instruments –, Pasotti, à l’instar de nombreux chefs contemporains, convoque une vingtaine d’instruments (cornet, dulciane, flûte, harpe, lirone, orgue, régale), offrant un tissu orchestral plus opulent, sans jamais trahir l’esprit du compositeur. Au contraire, cette densité sonore accrue permet aux chanteurs d’explorer de nouvelles inflexions, d’affirmer leurs appuis et de marier les timbres à loisir.

Quelques coupures à l’acte II ne nuisent ni à la cohérence ni à la clarté du propos dramatique. En revanche, l’ajout final d’un chœur probablement tiré d’un motet apparaît plus discutable, tant il amoindrit l’impact intime du duo amoureux conclusif. Rien, cependant, ne vient entamer la remarquable fluidité de ce spectacle, à la fois dense et d’une tenue artistique exemplaire.

CYRIL MAZIN

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