Grand Théâtre, 9 juin
Après Nantes (voir O. M. n° 210 p. 59 de mars) et Rennes en début d’année, la Traviata féministe – mais surtout franchement misandre – de Silvia Paoli fait escale à Tours, avec une distribution entièrement renouvelée. Nous ne reviendrons pas sur ce spectacle dont l’impact émotionnel et théâtral est indéniable, sinon pour constater que le tableau final – où l’héroïne meurt seule en scène, ayant seulement rêvé le retour d’Alfredo et de Germont, qui du coup chantent depuis les coulisses – fonctionne ici bien mieux musicalement qu’à Nantes, où la méforme du ténor rendait tout fondu vocal impossible.
On retrouve la direction inspirée, urgente et théâtrale de Laurent Campellone, remarquable de fluidité, même si l’équilibre fosse-plateau nous a semblé moins bon qu’à Nantes, l’orchestre n’évitant pas toujours un certain clinquant. Excellente prestation, sans réserve aucune, du chœur, manifestement enchanté de se travestir chez Flora. Par rapport à la création nantaise, le trio principal est plus homogène, par son excellence vocale, mais les seconds plans tout aussi irréguliers.
Yoann Dubruque et Yaxiang Lu imposent leurs Douphol et d’Obigny par le mordant de leur timbre, et Aliénor Feix campe une vive Flora au mezzo bien conduit, même si Aurore Ugolin lui conférait plus de volupté par le timbre et son allure à la Joséphine Baker. Gaston, le Docteur Grenvil, et surtout Annina semblent en revanche plus hésitants vocalement.
Ce n’est pas du tout le cas du Germont de Jean-François Lapointe, dont le baryton glorieux se complaît hélas dans un tonitruant quasi systématique, bien inutile vu la taille de la salle. Le premier Alfredo de Léo Vermot-Desroches a aussi un peu tendance à pousser l’aigu, et à privilégier la nuance forte, notamment dans « De’ miei bollenti spiriti », mais quand il fait entendre son timbre solaire sans forcer, la proposition est très séduisante.
Jodie Devos aurait dû faire ici ses débuts en Violetta, une étape importante de sa carrière. Grande habituée du rôle, Zuzana Marková y triomphe, sensibilité frémissante et présence magnétique. Avec une attention constante au mot, elle déploie, forte d’un arsenal belcantiste complet, une palette inouïe de couleurs et de nuances : « Ah, fors’è lui » et « Addio del passato » phrasés à la corde sur un souffle infini, précision des coloratures dans « Sempre libera », pianissimi flottants et suraigus triomphants. Quelques rares passages plus dramatiques (« Amami, Alfredo », « Gran Dio, morir sì giovane ») trahissent un petit manque d’ampleur, mais apportent, par leur fragilité même, un surplus d’émotion à cette incarnation aussi bouleversante que subtile.
THIERRY GUYENNE