Opéras Salome à New York
Opéras

Salome à New York

06/06/2025
Piotr Buszewski, Peter Mattei et Elza van den Heever. © Met Opera/Evan Zimmerman

Metropolitan Opera, 5 mai

Claus Guth signe enfin ses débuts à la mise en scène au Metropolitan Opera, avec cette Salome aussi visuellement saisissante qu’intellectuellement construite, mais qui ne compte pas parmi ses réalisations les plus abouties. Son concept central, qui présente l’adolescente comme une victime d’abus, n’a rien de novateur. Il s’appuie certes sur des éléments textuels du livret, mais peine à maintenir la tension dramatique nécessaire sur toute la durée. Malgré la direction efficace de Yannick Nézet-Séguin, le souffle dramatique reste inégal. Pour les habitués de l’œuvre, l’intensité manque. Pour d’autres, plus novices, le choc musical et l’engagement dramatique d’Elza van den Heever sauront captiver.

Dès les premières scènes, Guth sature le plateau d’éléments annexes. Inspiré par le regard américain, il injecte dans sa mise en scène des références cinématographiques appuyées à Stanley Kubrick, notamment Shining et Eyes Wide Shut. Résultat : une galerie en arrière-plan accueille un défilé continu de figures masquées, hommes en tenues de soirée, femmes dénudées (parfois des doubles de Salome), livrées à des rituels sexuels vaguement orgiaques. L’effet visuel, frappant au départ, devient vite répétitif, au point de détourner l’attention de l’action principale. Le metteur en scène allemand use aussi de symboles récurrents – fruits, poupées et cheval à bascule – qui, combinés à une palette de noir, blanc et rouge (grenades, sang de Narraboth, robe et chevelure d’Herodias), confèrent à l’ensemble une esthétique de film d’horreur gothique. Le décor évoque plus une plongée dans l’inconscient que la Judée biblique. Comme tant d’autres découvrant la scène du Met, Guth n’a pu résister à l’usage des ascenseurs scéniques. Jochanaan ne remonte jamais à la surface : c’est Salome qui descend, par deux fois, dans les profondeurs du palais, à la rencontre du prophète vivant, puis de sa dépouille. Ces descentes semblent autant physiques que mentales, évoquant une plongée dans les abîmes du traumatisme. Mais elles manquent encore de correspondance exacte avec les articulations musicales de la partition.

Après son Impératrice dans Die Frau ohne Schatten (voir O. M. n° 209 p. 61 de février), Elza van den Heever s’impose à nouveau dans Strauss in loco avec une Salome d’une présence physique remarquable. Grande, souple, elle incarne une femme-enfant tour à tour perdue, dissociée, parfois décidée, dont les gestes enfantins trahissent l’innocence fracassée. La soprano sud-africaine chante avec une intelligence textuelle remarquable, jusqu’au murmure. Mais la tessiture du rôle la met moins en valeur que Chrysothemis ou l’Impératrice, ses deux grands Strauss new-yorkais. Si le registre aigu est clair et percutant, les graves manquent de projection. La « Danse des sept voiles », cœur du propos de Guth, devient une dénonciation symbolique, presque pédagogique : entourée de six doubles, la fille de Judée recrée sur scène les sévices sexuels infligés par Herodes. Ce théâtre dans le théâtre, où un Herodes masqué se dédouble, évacue toute séduction pour devenir réquisitoire.

Gerhard Siegel, Herodes expérimenté, reprend quasiment à l’identique sa composition démentielle de 2016 face à Patricia Racette. Peter Mattei, superbe Jochanaan, allie beauté de timbre et intensité physique, même si les passages les plus sauvages du rôle mettent sa projection à rude épreuve. Michelle DeYoung, en Herodias, ne démérite pas mais reste en retrait, plus proche d’une matrone alcoolisée que d’une mère menaçante. Une Salome pensée, conçue mais pas totalement convaincante, où la provocation tourne parfois au procédé et l’émotion se trouve diluée.

DAVID SHENGOLD

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