Opéras Salome à Genève
Opéras

Salome à Genève

11/02/2025
Ena Pongrac (Ein Page der Herodias), Matthew Newlin (Narraboth), Gábor Bretz (Jochanaan) et Olesya Golovneva (Salome). © Magali Dougados

Grand Théâtre, 29 janvier

On avait quitté, à la fin de la saison dernière à Bruxelles, Turandot dans son luxueux appartement-terrasse de Hong Kong. On vient de retrouver Salome, dans cette production du Grand Théâtre de Genève, de nos jours, dans le bar d’un rooftop new-yorkais, au design très seventies. Le point commun entre les deux ? Le monde du luxe et de l’argent censé corrompre les deux héroïnes et les faire se comporter comme deux gamines capricieuses. Et cette transposition à l’époque contemporaine donne-t-elle de nouvelles perspectives à l’œuvre ? Non. Mais si elle n’est pas franchement convaincante, la mise en scène de Kornél Mundruczó, dont on a pu voir récemment le spectacle Parallax au Festival d’Automne, se révèle moins toc et moins prétentieuse que celle de Christophe Coppens.

En fait, il semblerait que, plus que le personnage de Salome, ce soit celui d’Herodes qui l’ait véritablement intéressé. Collant à l’actualité, il en fait un double de Trump, avec la cravate rouge et les cheveux blonds décolorés, dégageant la même violence et la même vulgarité. D’ailleurs, la danse des sept voiles que Salome réalise en compagnie des barmaids du rooftop se conclut par le viol commis par son beau-père. À côté de lui, Herodias ne fait guère preuve de davantage d’élégance, elle qui, en jupe trop courte et tignasse crêpée, se fait tripoter par les premiers venus. On peut adhérer à ce parti-pris féministe (peu de temps avant d’être violée, Salome avait écrit sur le miroir de l’ascenseur : « Stop it ! »), mais on peut se dire aussi que c’est une manière de surfer sur l’air du temps, qui cache une absence de discours sur l’œuvre.

Car pour le reste, Kornél Mundruczó n’a pas grand-chose à dire, bien que le programme annonce qu’il a étudié Salome pendant six mois pendant sa formation. On comprend mal l’évolution du personnage éponyme, on cherche en vain la question du désir, surtout face à un Jochanaan crasseux et sans envergure, et on voit mal ce qui justifie, après le viol, que la princesse exige la tête du prophète. C’est à cet instant que le spectacle, jusqu’alors strictement réaliste – exception faite de la scène où Herodes propose à Salome ses trésors les plus précieux à la place de la tête de Jochanaan –, bascule dans une sorte d’onirisme gore : le rooftop new-yorkais disparaît pour laisser place à une tête coupée gigantesque de laquelle Salome et ses barmaids acolytes sortiront, se tortillant tels des vers qui se repaissent des chairs d’un cadavre… Vision d’horreur !

Ce que la scène nous refuse, la fosse nous l’offre, heureusement, par la direction très souple et très nuancée de Jukka-Pekka Saraste. Le chef d’orchestre finlandais fait monter le drame par strates et progresse en douceur jusqu’au climax final, qui n’en est que plus expressif. Sous sa baguette, l’Orchestre de la Suisse Romande célèbre avec volupté et gourmandise tous les détails de la luxuriante écriture straussienne.

Dans le rôle-titre, Olesya Golovneva incarne une solide Salome. La voix est belle, puissante, avec des graves solides et une très efficace projection. Et comme la chanteuse russe est aussi très crédible en scène, on adhère à son personnage, même si on peut préférer Princesse de Judée plus rêveuse et plus perverse. Gábor Bretz déploie sa voix puissante et bien timbrée dans le rôle de Jochanaan, Tanja Ariane Baumgartner ses graves riches et sa concupiscence dans celui d’Herodias. Matthew Newlin est un Narraboth de prestance à la voix claire qui finit par se trancher les veines, et le page n’est plus ici un rôle travesti, mais une sorte de collégienne perdue au milieu de tout cela. Enfin, John Daszak est un Herodes-Trump qui livre une savoureuse composition. Aussi ridicule et inquiétant, mais vraisemblablement mieux chantant que le président américain peut l’être actuellement.

PATRICK SCEMAMA

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