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La fanciulla del West enivrante de Daniele Rustioni à Lyon

01/04/2024
Chiara Isotton (Minnie) et Riccardo Massi (Dick Johnson). © Jean-Louis Fernandez

Opéra, 15 mars

« Rebattre les cartes » : ainsi Richard Brunel, son directeur général et artistique, a-t-il baptisé le Festival 2024 de l’Opéra de Lyon. Premier volet de la trilogie, La fanciulla del West (New York, 1910), avec des cartes qui changent la donne, en trichant par amour. Avec elles, l’intrépide Minnie sauve Dick Johnson, bandit recherché « mort ou vif » sous le nom de Ramerrez, une première fois, à la déloyale, en battant le shérif Jack Rance, amoureux d’elle, quand, la seconde fois, elle ne pourra plus que jouer cartes sur table face à tous, et gagner encore, avec son amour justifié, glorifié.

Centenaire de la disparition de Puccini oblige, voici donc, pour la première fois, à Lyon, l’opéra américain du compositeur, pas son plus populaire, mais pas son moins exigeant. Rares sont, aujourd’hui, les productions qui s’attachent encore à un réalisme de western, ne pouvant plus rivaliser avec les grandes fresques hollywoodiennes du passé, ou leurs relectures récentes, plus fortes encore. Attention au chromo, donc.

Hélas, Tatjana Gürbaca, qu’on a connue plus inspirée, en garde les fondements, sinon les couleurs, et pas pour le meilleur. Installée devant un ciel de nuages terreux, sur une tournette chargée de grands praticables étagés, à moitié mangés par des coulures rocheuses, une pseudo-colline informe est dominée par un cylindre de tissu parme, plissé, façon design de luminaire branché, mais à l’échelle de la piste de danse sommitale.

Redoutable symbiose entre le mont chauve des chercheurs d’or, la Polka, saloon de Minnie, et le lieu de ses propres rêves, puisqu’on découvrira, bientôt, que ce cylindre est sa cabane. L’entrée de l’héroïne, amplement drapée d’or, fantasme féminin intouchable de tous les pauvres gars, enfonce, aussitôt, le clou du kitsch. La robe pantalon violine à fleurs, qu’elle passera ensuite, sera à peine moins seyante. Chance, dans la dernière scène, un simple manteau et un chapeau noirs évacueront, enfin, le ridicule.

Le décor, lui, n’aura, hélas, pas changé, enlaidi encore par le cylindre, rallongé et descendu pour cacher l’intérieur de la cabane perchée, que la chute du plissé montrera nu, entre six piliers blancs, pauvre kiosque des amours d’une bonne fille et d’un bandit généreux, qu’elle aura caché dans les airs, accroché à une grosse corde…

On aurait vite oublié cette médiocrité scénique, si la direction d’acteurs s’était faite intense. Elle s’occupera, surtout, à régler efficacement, mais parfois maladroitement, les groupes sur les praticables, se servant plus des costumes pour caractériser chacun des nombreux personnages, tous parfaitement choisis et incarnés – de la Wowkle de la mezzo Thandiswa Mpongwana, au beau timbre caressant, au lumineux Nick du ténor Robert Lewis, du sombre Ashby de la basse Rafal Pawnuk à l’émouvant Jake Wallace du baryton Pawel Trojak.

Présence forte du Jack Rance de Claudio Sgura, qui mettra un peu de temps à stabiliser son aigu, pour imposer un shérif jaloux d’une émission assez généreuse. Avec son long manteau de fourrure et sa chevelure noire, il sera le seul à sortir de la convention théâtrale, parce qu’il joue d’instinct. Riccardo Massi est un ténor probe, à la couleur  charmeuse, au chant nuancé, qui n’a rien, en Dick Johnson/Ramerrez, d’un bandit terrifiant.

C’est, toutefois, Chiara Isotton qui remporte la palme de l’intérêt, par sa façon d’investir, peu à peu, sa Minnie. Si elle n’est pas – encore – des dramatiques qui la marquent de leur forte empreinte, elle a la voix longue, et une séduction qui s’impose progressivement. Bonasse d’abord, elle montre une vaillance réelle dans son affrontement avec Jack Rance. Et règne, enfin, magnifique de santé, de personnalité, pour la grande défense de son amour.

Mais le plaisir absolu de cette Fanciulla del West, on le doit aux forces de l’Opéra de Lyon, magistralement emportées par un Daniele Rustioni des grands soirs. Le directeur musical de la maison obtient de son orchestre, le débordement de couleurs typique de l’écriture puccinienne, traitée ici en absolue splendeur, avec des moments de poésie instrumentale enivrée d’elle-même, et de ses chœurs, l’impact de la masse, le jeu des timbres et le raffinement des ensembles réussis. Et, surtout, omniprésents, dynamiques, convaincants, ce théâtre et cette élégance qui manquent vraiment sur scène.

PIERRE FLINOIS

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