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L’Ange exterminateur renaît à Paris

05/03/2024
Nicky Spence (Edmundo de Nobile), Jacquelyn Stucker (Lucia de Nobile) et Christine Rice (Blanca Delgado). © Agathe Poupeney/Opéra National de Paris

Opéra Bastille, 29 janvier

La création de The Exterminating Angel, au Festival de Salzbourg, en juillet 2016 (voir O. M. n° 121 p. 59 d’octobre), nous avait laissé partagé, et dans l’attente d’une seconde proposition. Pour l’entrée au répertoire de l’Opéra National de Paris de l’ouvrage de Thomas Adès (né en 1971), Calixto Bieito est parti sur des bases différentes.

En supprimant l’entracte, placé après le II, qui avait l’inconvénient majeur d’une baisse de tension ; en éliminant, du III, l’action que le livret situe à l’extérieur de la maison, les chœurs étant maintenant placés, invisibles, dans les hauteurs de la salle ; en troquant, enfin, le noir, qui accentuait encore l’atmosphère de cet univers étouffant, contre une paradoxale dominante blanche, souvent même éblouissante.

C’est gommer, au maximum, et, selon nous, à raison, tous les aspects réalistes du livret, venus, pour une bonne part, du film éponyme de Luis Buñuel (El angel exterminador, 1962). Déterminant, à cet égard, le décor unique d’Anna-Sofia Kirsch, à la fois d’une suprême élégance et relevant d’une sorte d’abstraction, constamment varié par les très beaux éclairages de Reinhard Traub, pose un vaste salon aux murs nus, que ferme, au fond, une porte monumentale. Les costumes d’Ingo Krügler parsèment savamment l’ensemble de taches vivement colorées. Le tout relève d’un parti esthétisant d’un extrême raffinement, que l’on n’attendait pas forcément du « trublion » Calixto Bieito.

L’œuvre apparaît, dès lors, sous un autre jour : relevant moins du surréalisme, sur le motif de l’absurde enfermement, accompagné d’une analyse décapante des conventions sociales (thème essentiellement buñuelien), que de l’interrogation existentielle, religieuse, et même métaphysique.

Le cheminement du spectacle révèle ainsi une forme de rédemption salvatrice, qui conduit logiquement au « Libera de morte aeterna », entonné glorieusement par le chœur, dans le finale. Et, de fait, Calixto Bieito conclut par un magnifique moment de théâtre, quand le salon éclate et pivote sur lui-même, pour présenter le côté opposé, ouvert sur l’extérieur, où les acteurs apparaissent en compagnie des animaux, qui sont d’autres instruments de la rédemption, l’ours devenu peluche, et l’enfant, lui-même, portant des ballons de baudruche en forme d’agneaux.

Ce splendide travail bénéficie d’une distribution de toute première force – supérieure, grâce à une magistrale direction d’acteurs, à celle de Salzbourg, pour la caractérisation et l’individualisation des personnages, et au moins équivalente pour les voix, bien servies par l’espace fermé de l’Opéra Bastille, en forme de conque.

On pointera, d’abord, le couple des hôtes, Edmundo et Lucia : Nicky Spence, au timbre doré éclatant, et la versatile Jacquelyn Stucker, qui livre, pour ses débuts à l’Opéra National de Paris, une prestation époustouflante, tant pour l’assurance de ses aigus percutants, que pour une présence sculpturale en scène.

Non moins fascinante sur ce plan, la Silvia de Claudia Boyle peut rivaliser, par l’agilité de son soprano, avec Leticia, la cantatrice invitée. Cette dernière est assumée brillamment par Gloria Tronel, dont la cascade finale de contre-la ne le cède que de peu à la stupéfiante Audrey Luna, à Salzbourg.

Surprenante, d’abord, par la portée plus limitée de son contralto, comme hésitant – ainsi le veut, aussi, sa Leonora gagnée par la maladie –, Hilary Summers donne une superbe leçon de diction, dans son monologue halluciné du III. Pour un parfait contraste avec la Blanca très digne de Christine Rice – mezzo toujours aussi émouvante dans son « Over the Sea » moiré du II, et seule reconduite de Salzbourg, avec le Raul de Frédéric Antoun, ici relativement plus discret qu’alors.

Choix judicieux, encore, pour le jeune couple, formé par la Beatriz d’Amina Edris et l’Eduardo de Filipe Manu, dans leurs délicats duos lyriques. Et une place à part doit être faite à l’étonnant contre-ténor Anthony Roth Costanzo, Francisco d’une virtuosité bluffante et, en scène, infatigable, autant qu’insaisissable vibrion. Enfin, les nombreux seconds rôles sont irréprochables.

Thomas Adès, lui-même, toujours passionnant à suivre dans son efficace gestique, bénéficie d’un Orchestre de l’Opéra National de Paris parfaitement à son affaire, en particulier dans les scènes de plus en plus grandioses du III, à l’instar des Chœurs, comme toujours impeccables, dirigés par Ching-Lien Wu.

Une seconde production mémorable et, pour ainsi dire, une nouvelle naissance de l’œuvre.

FRANÇOIS LEHEL

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