Opéras Décevant Don Giovanni à Versailles
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Décevant Don Giovanni à Versailles

04/12/2023
Robert Gleadow (Don Giovanni) et, au second plan, Florie Valiquette (Donna Anna), Arianna Vendittelli (Donna Elvira) et Enguerrand de Hys (Don Ottavio). © Ian Rice

Opéra Royal, 19 novembre

Pour ce nouveau Don Giovanni, moins d’un an après la reprise de celui de la trilogie « Mozart/Da Ponte » signée Ivan Alexandre (voir, en dernier lieu, O. M. n° 184 p. 40 de juillet-août 2022), on attendait beaucoup de l’équipe canadienne, régulièrement invitée par Château de Versailles Spectacles, formée par le metteur en scène Marshall Pynkoski et la chorégraphe Jeannette Lajeunesse Zingg. Avouons notre déception.

Le premier avance le concept, non du « dramma » qu’on joue le plus souvent, mais d’un « buffa » qui prolongerait les données de base de la commedia dell’arte, ce que suffirait pourtant à démentir le début de l’Ouverture. Cette option a commandé le choix des costumes de Christian Lacroix, comme à l’accoutumée d’un goût parfait et d’une impeccable finition – quoique pas forcément compatibles avec les exigences de vie de la scène. À commencer par cette habile variation sur la figure d’Arlequin, qu’évoque l’habit bariolé du héros et de son serviteur.

Dès lors, les personnages ne pèsent pas suffisamment – Don Giovanni, notamment, qui apparaît comme une sorte de bouffon, plutôt grossier, et sans aucune trace de distinction aristocratique. Et tout autant le Pierrot blanc, sous la figure duquel se présente d’abord Don Ottavio, ou encore un Masetto vêtu, de façon encore plus aberrante, et handicapante, des longues bandes de couleurs verticales de quelque Matamore.

Jeannette Lajeunesse Zingg s’appuie, de son côté, sur le fait que la partition contient plusieurs danses d’époque, pour s’emparer de ces quelques moments, n’intervenant que très modestement ailleurs, et sans chercher à tisser de véritables interactions. Malgré l’excellence en soi de ces chorégraphies, auxquelles les parfaits danseurs du Ballet de l’Opéra Royal rendent pleine justice, ceci est particulièrement dommageable pour le finale du I, où l’action est plaquée à l’avant-scène, tandis que se déroule, à l’arrière-plan, un ballet classique étranger à l’action.

Pour le reste, dans le décor unique, symétrique et très sage, de Roland Fontaine, que varient un peu, heureusement, les éclairages d’Hervé Gary, le spectacle est des plus traditionnels. Avec, certes, plusieurs bons moments, comme le sextuor du II, qui ne suffisent cependant pas à compenser des passages à vide frôlant l’ennui, et où les vertus conservatrices finissent par devenir pauvreté. Tel cet air « du catalogue », où l’on revient au petit livret que Leporello tient en main, quand on y a vu tant d’inventions autrement ingénieuses. Ou le festin final, réduit à une table minuscule placée côté cour, et aux entrées successives par la porte du fond, même si c’est pour conclure par la belle image, vue plus d’une fois, elle aussi, de l’apparition du Commandeur dans un nuage de vapeur.

Le plateau apporte des compensations heureuses. Avant tout, avec la Donna Elvira magistrale d’Arianna Vendittelli (déjà vue, ici même, en janvier 2023, dans la production d’Ivan Alexandre, citée plus haut). Puissamment dramatique, elle fait passer, après un « Ah, fuggi il traditor ! » de feu, un des rares vrais souffles d’émotion de la soirée, dans un magistral « Mi tradi ».

Florie Valiquette souffre un peu de cet incandescent voisinage, mais n’en donne pas moins une Donna Anna touchante, à l’impeccable legato et délicatement conduite. La Zerlina très corsée d’Eléonore Pancrazi charme vocalement, sans être exactement le personnage attendu.

Côté masculin, on ne se réjouit pas moins du ténor barytonnant d’Enguerrand de Hys (privé d’« Il mio tesoro »), très convaincant en scène, comme du brillant Masetto, excellemment projeté, de Jean-Gabriel Saint-Martin, qui parvient à faire oublier son costume incongru. Et encore du Commandeur, à la solide basse, de Nicolas Certenais. Légèrement moins, en revanche, du Leporello, pourtant irréprochable, de Riccardo Novaro, bon acteur, bien en situation, mais d’une séduction de timbre limitée.

Passant, pour la première fois, du valet au maître, Robert Gleadow demande une annonce pour cause de sciatique et reste, de fait, un peu moins bondissant que dans ses Leporello antérieurs. Sans renoncer, pourtant, à une tendance à surjouer souvent assez encombrante, qui n’ajoute pas à la crédibilité de son Don Giovanni. Le chant, trop souvent forcé, du baryton-basse canadien n’aide pas non plus, en particulier dans une « Sérénade » rapidement menée, et sans plus de charme que « Là ci darem la mano ».

À la tête d’un bel Orchestre de l’Opéra Royal, Gaétan Jarry déploie une gestique à la fois très expansive et nerveuse, qui assure une bonne mise en place, mais laisserait souhaiter un approfondissement supérieur, que la production, de toute façon, n’encourage pas.

FRANÇOIS LEHEL

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