Opéras Don Giovanni et au-delà à Strasbourg
Opéras

Don Giovanni et au-delà à Strasbourg

29/09/2023
Julia Deit-Ferrand, Christophe Gay et Sandrine Buendia. © Klara Beck

Opéra, 16 septembre

Le répertoire lyrique foisonne de scènes infernales et de personnages punis pour avoir enfreint des lois plus ou moins divines. C’est de ce constat qu’est parti Simon Steen-Andersen (né en 1976), pour répondre à une commande de l’Opéra National du Rhin et du Festival Musica, en coproduction avec le Royal Danish Opera de Copenhague, en imaginant un opéra relatant les péripéties vécues par Don Giovanni, une fois qu’il a été précipité aux Enfers. Un ouvrage d’un genre particulier, cependant, car l’auteur, compositeur, metteur en scène et vidéaste danois a conçu un « pasticcio », utilisant un grand nombre d’épisodes puisés ici et là, de Boito à Rameau, de Marschner à Zandonai.

Tout commence par l’avant-dernière scène du Don Giovanni de Mozart, chantée et jouée, sans surprise, par le rôle-titre, Leporello et la Statue du Commandeur. Puis le protagoniste, se réveillant aux Enfers, commence un parcours à travers le répertoire, guidé par un certain Polystophélès – un Méphistophélès multiple, comme son nom l’indique –, qui se révèle autant maître de cérémonie que bourreau.

Don Giovanni aux Enfers – qui sera représenté sous le titre Don Giovanni’s Inferno, à Copenhague, au printemps 2024 – n’est pas un simple collage, mais plutôt un enchevêtrement élaboré de scènes et de répliques. En effet, nombre de passages sont modifiés et déformés, confiés tantôt à l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dans la fosse – entièrement couverte, à l’exception d’un carré découpé, permettant de voir la tête du chef libano-polonais Bassem Akiki –, tantôt aux musiciens de l’ensemble Ictus, sur le plateau, tantôt, enfin, à l’un et aux autres, simultanément. Sans compter les bruits et les montages sonores, qui s’ajoutent aux voix des six solistes. Des fragments de La Damnation de Faust, par exemple, éparpillés au milieu d’autres citations, aboutissent à un « Pandémonium » transformé en numéro de heavy metal.

À la toute fin, des paysans chantent avec confiance la grâce d’Orphée, qui a bravé les Enfers. Les voix ne sont plus amplifiées, la paix est entrée dans les cœurs, mais pour Don Giovanni, libertin jusqu’au bout, c’est un destin trop paisible : il fuit… et se fait écraser par le rideau de scène !

Simon Steen-Andersen a effectué un travail très minutieux : telle réplique de Lully fait écho à une phrase de Puccini, Le Démon de Rubinstein se heurte au Sant’Alessio de Landi, trois mots de L’Ange de feu répondent à cinq mesures de Der fliegende Holländer, si bien que les styles et les langues s’entrechoquent, quelquefois d’une syllabe, d’une note à l’autre, la mise en scène se jouant des genres : music-hall, télé-réalité, etc. Le bâtiment, lui-même, devient un protagoniste à part entière : les personnages errent dans les sous-sols et les coulisses de l’Opéra de Strasbourg, à la faveur d’une vidéo permanente, qui leur permet d’apparaître sur la scène, puis d’être de nouveau dévorés par l’écran.

Il y a là, de la part de Simon Steen-Andersen, beaucoup d’érudition, de drôlerie, d’habileté dans le maniement des images et des musiques. Mais, faute de vrai fil narratif ou dramatique, l’intérêt se disperse. Certaines séquences sont trop développées, tel cet air de Zerlina chanté par un Don Giovanni déculotté, dos au (vrai) public, devant une (fausse) salle enthousiaste. La « comédie méta-lyrique », comme la baptise son concepteur, ne perdrait rien de sa verve si elle était plus serrée, moins démonstrative.

Il est, bien sûr, hors de question ici d’apprécier la prestation des chanteurs, dont les voix sont, la plupart du temps, amplifiées, l’ensemble des interprètes – le baryton-basse franco-australien Damien Pass, au premier chef, dans ses différents rôles maléfiques, mais aussi le baryton français Christophe Gay, qui passe de Don Giovanni à Orphée – jouant le jeu du télescopage des personnages et des styles. De même, les membres du Chœur de l’Opéra National du Rhin, les musiciens de l’ensemble Ictus et ceux de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.

Tous font assaut de virtuosité pour donner au spectacle sa vitalité et faire de ce Don Giovanni aux Enfers, une parodie des obsessions propres au genre même de l’opéra.

CHRISTIAN WASSELIN

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