Opéras Un Orfeo de Gluck frustrant à Salzbourg
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Un Orfeo de Gluck frustrant à Salzbourg

26/09/2023
Cecilia Bartoli (Orfeo). © SF/Monika Rittershaus

Haus für Mozart, 7 août 2023

Présentée pour la première fois au Festival de Pentecôte (Pfingstfestspiele), en mai dernier, la production très élaborée d’Orfeo ed Euridice conçue par Christof Loy laisse sur des sentiments partagés. Assumant le choix de la version dite « de Parme » (1769), réécrite pour castrat soprano – plutôt qu’alto, comme à la création, à Vienne, en 1762 –, qui répondait depuis longtemps aux vœux de Cecilia Bartoli, pour sa prise de rôle en Orfeo, le metteur en scène allemand la complète et la remanie, avec, notamment, la suppression du « lieto fine », Orfeo retournant aux Enfers et vers la suite incertaine de son destin.

Donné sans entracte, le spectacle se concentre donc sur le sort tragique du héros, avec une réduction de l’intervention divine (Amore n’est plus qu’un personnage ordinaire, relativement discret), revendiquant, ainsi, la continuité et la fluidité du drame à l’antique. Avec, aussi, l’option risquée d’une représentation partiellement dansée, la chorégraphie, imaginée par Christof Loy lui-même, tournant résolument le dos aux divertissements classiques d’origine, étant supposée prolonger l’expression des affects.

Et c’est ici que le bât commence à blesser. Il estrès surprenant, à cet égard, que le metteur en scène ne cite nulle part la célèbre version entièrement dansée de Pina Bausch (1975). Contrairement à celle-ci, et malgré la qualité de la trentaine d’interprètes, leurs interventions seulement ponctuelles, démultipliant les deux héros, relèvent plus de la pantomime, souvent proche d’un désordre brutal, qui vient plutôt en collision avec la musique – plus perturbant que véritablement expressif, contrairement au but recherché. Alors même qu’à l’inverse, les quatre danseuses, chargées d’incarner les Ombres heureuses, doivent se contenter d’une chorégraphie lente des plus académiques.

Assez beau en soi, le décor d’architecture classicisante de Johannes Leiacker, inspiré des célèbres scénographies abstraites d’Adolphe Appia (reproduites dans le programme de salle), affiche, contrairement à celles-ci, une stricte symétrie dans la présentation frontale d’un large escalier à paliers, conduisant à une porte monumentale.

Le rideau, qui se lève et s’abaisse pour ouvrir sur le noir total des Enfers ou le trop vif éclairage de la scène des Ombres heureuses, est le seul élément mobile de cette boîte passablement étouffante et paralysante, comme un vestibule de la mort, ou un morne funérarium.

À la tête de son excellent orchestre Les Musiciens du Prince-Monaco et du remarquable chœur Il Canto di Orfeo, placé en fosse sur les marches descendant du plateau, le chef italien Gianluca Capuano surprend, lui aussi, par le refus d’un jeu baroque et, surtout, par la lenteur générale de ses tempi, avec trop de silences ralentissant encore l’action – hormis dans un « Che faro senza Euridice » pris, au contraire, très vite et haletant. Dans ces conditions, l’ensemble n’évite pas toujours l’ennui.

Reste, pourtant, Cecilia Bartoli, à laquelle ce travail très appliqué sert d’écrin. Tout vêtu de noir, son Orfeo déploie une voix devenue large et plus sombre, d’un lyrisme limité, mais avec une intensité expressive poussée jusqu’au cri et à la raucité, soutenue par une direction d’acteurs contribuant à faire valoir les qualités exceptionnelles de la tragédienne.

À côté du discret Amore de Madison Nonoa, Mélissa Petit est une Euridice de très haut vol, par la qualité d’un timbre bellement fruité, qui s’épanouit chaleureusement, et une présence vibrante particulièrement émouvante. Après ce qui n’était jusqu’alors qu’un bon devoir, passablement contraint, la grande scène des retrouvailles, de la jalousie exaspérée de l’épouse, puis du regard fatal, s’envole sur des sommets anthologiques.

Si l’ensemble est supérieur à la production antérieure trop sage de Dieter Dorn, en juillet-août 2010 (voir O. M. n° 55 p. 69 d’octobre), on a vu mieux et plus convaincant ailleurs. Une réussite seulement partielle donc, qui, malgré quelques beaux moments, laisse sur un assez pénible sentiment de frustration.

FRANÇOIS LEHEL

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