Opéras Ingénieuse Turandot à Zurich
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Ingénieuse Turandot à Zurich

11/07/2023
© Monika Rittershaus

Opernhaus, 27 juin

Avec, à son sommet, deux des artistes lyriques les plus considérables d’aujourd’hui, réunis dans leur pleine maturité, l’Opernhaus de Zurich pouvait, raisonnablement, se targuer de l’affiche de sa nouvelle Turandot. D’autant que Sondra Radvanovsky y faisait ses débuts scéniques dans le rôle-titre – trois mois après la parution, chez Warner Classics, de l’enregistrement dirigé par Antonio Pappano –, face au tout premier Calaf de Piotr Beczala.

Sauf que le ténor polonais a dû, hélas, déclarer forfait pour raisons de santé, après la troisième des sept représentations. Libéré, pour deux des quatre soirées restantes, par le Teatro Real de Madrid, où il répétait l’ouvrage, Martin Muehle se révèle un remplaçant valeureux. Sans grand rayonnement, ni du timbre, ni surtout de la ligne, et assez constamment raide, mais d’une tenue infaillible dans le registre supérieur – ce qui, après tant de titulaires barytonnants, aux prises avec le passaggio dans cette tessiture redoutablement escarpée, est une honorable consolation.

Sondra Radvanovsky joue, à l’évidence, dans une autre catégorie, que la singularité de son instrument lui permet, d’ailleurs, d’occuper à elle seule. Le format laisse, une nouvelle fois, pantois, a fortiori dans la bonbonnière zurichoise, que ses si et contre-ut emplissent jusqu’à saturation.

Le tranchant, l’âpreté de l’émission, d’une égalité presque surhumaine sur tout l’ambitus, n’empêchent cependant pas le chant de se plier à toutes les nuances écrites, et d’approfondir ainsi un personnage dont le mouvement perpétuel rompt, ostensiblement, avec la tradition de la princesse figée dans la glace du souvenir immémorial de son aïeule. Il ne lui reste qu’à affronter le finale sous les feux de la rampe – après avoir relevé, au disque, le défi de la version originale de celui d’Alfano –, pour parachever une incarnation d’ores et déjà marquante.

Rosa Feola, en revanche, devra mûrir sa Liù, d’une fraîcheur évitant le stéréotype larmoyant de la « petite femme » puccinienne, mais étrangement limitée dans l’aigu, fugacement atteint, quand il n’est pas qu’effleuré. Solide, enfin, est le Timur de Nicola Ulivieri, à l’image des autres voix graves : Jungrae Noah Kim, Mandarin impérieux, issu de l’Internationale Opernstudio de Zurich, comme Xiaomeng Zhang, qui ne fait, en Ping, pas moins forte impression qu’en Chou En-Lai (Nixon in China), récemment à l’Opéra Bastille.

Puccinien très occasionnel, Marc Albrecht avait été, en janvier 2022, au Theater an der Wien, au pupitre d’une Tosca de triste mémoire, que sa lecture tendue à l’extrême préservait du naufrage. Il déçoit, cette fois, eu égard à sa réputation de spécialiste du répertoire allemand exactement contemporain du dernier Puccini, dont l’écriture porte des traces manifestes d’une telle influence. Plutôt rutilant, mais nettement moins discipliné que sous la baguette de son directeur musical, Gianandrea Noseda, l’orchestre Philharmonia Zürich ne fait pas ressortir la modernité, l’étrangeté même de Turandot, ressort principal, pourtant, du spectacle de Sebastian Baumgarten.

Point de Chine légendaire, fantasmée et/ou de pacotille. Et même, point de Chine du tout. Mais une ruche, dont Turandot, vêtue de jaune et noir, et couronnée d’une improbable coiffe, est la reine. Sur ce fond de zoomorphisme tout sauf littéral, le metteur en scène allemand transforme le conte en une sorte de collage loufoque, dont on ne sait s’il faut le prendre au second, ou au vingt-cinquième degré, pour (dé)nouer les différents fils qu’il semble tirer. À commencer par celui du contexte artistique qui entourait le compositeur – le futurisme italien, en l’occurrence, à travers la mécanisation de l’humain, alliée à un arsenal d’objets géants, et le plus souvent tranchants.

Le coupe-choux du bourreau, au I, puis le coupecigares utilisé comme instrument de torture, au III, sont-ils des allusion au cancer de la gorge qui emporta ce grand fumeur qu’était Puccini, laissant la partition inachevée ? Trois citations appuient, du moins, cette intuition, en interposant leurs caractères noirs sur fond blanc, entre la scène et la salle – pour justifier, de façon didactique, cette version fragmentaire, se terminant par la mort de Liù.

Originale et ingénieuse, cohérente dans la logique propre à la dramaturgie, la proposition est, avouons-le, fort divertissante. Mais ce regard caustique, cultivant le contre-pied jusqu’au pied de nez – au point de donner parfois l’impression d’assister à une représentation… du Nez de Chostakovitch –, se porte sciemment à l’opposé de la tradition séculaire de l’opéra italien. Celle-là même qui pousse, avec Turandot, son dernier souffle.

Mehdi Mahdavi


© Monika Rittershaus

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