Opéras Vendredi de lumière à Lille
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Vendredi de lumière à Lille

08/11/2022
© Simon Gosselin

Opéra, 5 novembre

Résumé des épisodes précédents : à partir de 1977, le compositeur allemand Karlheinz Stockhausen (1928-2007) conçoit Licht, un cycle de sept opéras, un pour chaque jour de la semaine, qui totalise près de trente heures de musique et comprend des indications très précises, quant aux gestes, déplacements, décors et costumes… Terminées en 2003, certaines de ces « Journées » ont connu des premières mondiales, tantôt à la scène, tantôt en concert ; d’autres n’ont été créées que partiellement. En revanche, les sept ont bénéficié d’enregistrements diffusés en CD.

Depuis 2018, Maxime Pascal et son ensemble Le Balcon se sont lancés dans le projet, assez fou, de monter l’intégralité de Licht, pour la première fois en France. Après Donnerstag, en 2018 (voir O. M. n° 146 p. 51 de janvier 2019), Samstag, l’année suivante (voir O. M. n° 153 p. 70 de septembre 2019) et Dienstag, en 2020 (voir O. M. n° 167 p. 48 de décembre), voici Freitag, achevé en 1994 et créé, deux ans plus tard, à Leipzig.

Stockhausen y met en scène la tentation d’Ève (Eva), « la Séductrice, Inanna la Sumérienne, Aphrodite, Vénus ou Lilith ». Les deux autres incarnations spirituelles sont Michel (Michael), « l’Archange guerrier terrassant le Dragon, l’Égyptien Thot ou le Grec Hermès » – absent de l’ouvrage – et Lucifer (Luzifer), « l’esprit qui nie, le chantre du multiple », qui apparaît ici, sous les traits de Ludon, pour inciter Eva à s’unir à son fils, Kaino.

« Je veux traduire en musique les tentations humaines archétypiques. Utiliser le corps comme un instrument de musique, mais aussi échanger les corps humains, faire des expériences inhabituelles avec le corps, sont des tentations essentielles chez l’homme, expliquait Stockhausen. La transformation me fascine, le vocal en instrumental, l’instrumental en électronique, l’électronique en situation sonore surréaliste. »

Voilà pourquoi, tandis que les portes de l’Opéra de Lille s’ouvrent, le public est accueilli par un bain électro : Freitags-Gruss, prélude au spectacle. Un continuum électronique, aux larges ondulations fragmentées en huit canaux, qui se poursuit dans la salle, jusqu’au lever de rideau.

Associée à Romeo Castellucci jusqu’en 2020, Silvia Costa s’est distinguée, deux ans plus tard, en mettant en scène la création de Sivan Eldar, Like flesh, déjà avec Maxime Pascal, à Lille. Avec Freitag-Versuchung, elle parvient à donner à voir le minimalisme relatif de ces trois scènes de chœur et d’orchestre, sous la forme d’un « Olympe habité de douze couples d’objets du quotidien, où se mélangent l’humain, l’animal et la machine ».

Les enfants, très présents sur scène, sont, avec Silvia Costa, de « véritables démiurges de l’espace qui donnent vie aux couples hybrides ». Chien et chatte, clavier de machine à écrire et photocopieuse, pilote déjanté et voiture de course miniature, jambe à chaussure à crampons, percutant inlassablement un ballon… Tout un monde d’objets animés structure et relève l’une des partitions les plus statiques de tout Licht.

Changement complet avec la rencontre entre Eva et Ludon, qu’accompagne le chant volubile du cor de basset (Elu) et de la flûte (Lufa) – deux instruments prisés de Stockhausen, qui fécondèrent son imagination. L’écriture se complexifie, basée sur une série d’onomatopées, voyelles et cris ornementés.

La soprano Jenny Daviet incarne Eva à la perfection ; son timbre charnu et ses pirouettes vocales convainquent, face à Antoin HL Kessel en Ludon, solide baryton-basse. Associés au Chœur de la Maîtrise Notre-Dame de Paris et à l’Orchestre d’enfants du CRR de Lille, ces deux chanteurs et les deux solistes instrumentaux, Iris Zerdoud et Charlotte Bletton, combinent, avec subtilité, sons naturels et sons transformés par l’électronique, réalisée par Augustin Muller et Étienne Démoulin.

La partition décolle littéralement avec la rencontre d’Eva et Kaino – formidable baryton Halidou Nombre ! —, chacun évoluant dans un char en forme d’arabesque, à l’atmosphère nacrée. Kinder-Krieg est l’occasion d’un charivari orchestral, où le jeu intense des enfants aboutit à ce « chaos primordial » pointé par Silvia Costa.

Stockhausen, enfin, rejoint et dépasse son professeur, Olivier Messiaen, dans Freitags-Abschied, pure jubilation, où « les couples s’unissent dans un lent mouvement en spirale ». L’occasion, pour Maxime Pascal et Silvia Costa, de « rendre visible la musique » à travers leurs personnages fantastiques bariolés, où plane l’ombre futuriste des « comics » Marvel. Un surréalisme bien vu, comme une forêt psychédélique grouillante à la Max Ernst.

FRANCK MALLET


© Simon Gosselin

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