Esglesia del Carme, 23 juillet
Devant un public choisi, mais vite conquis, Emily D’Angelo a offert un récital aussi éclectique qu’audacieux, pour ses débuts au Festival.
La première partie étonne, reprenant beaucoup de son premier album pour Deutsche Grammophon, Enargeia, qui faisait se côtoyer mysticisme médiéval et « new age » nord-américain actuel. D’emblée, la mezzo canadienne frappe par son port altier, accentué par un look androgyne très contemporain (cheveux courts, chemise blanche, pantalon noir et godillots), une extrême concentration et une grande voix, sombre et prenante, qu’elle sait moduler jusqu’à d’ineffables piani.
Avouons que, dans le liminaire O frondens virga d’Hildegard von Bingen, le soutien et la justesse se cherchent encore un peu, avec un accompagnement au piano, il est vrai, assez incongru. Mais dès la deuxième pièce, la maîtrise technique se fait souveraine, sans être jamais désincarnée, car toujours au service du mot et de l’émotion.
Aux mélodies assez gentilles des Américaines Rebecca Clarke et Sarah Kirkland Snider, et de la Canadienne Cecilia Livingston, s’ajoutent, pour faire bonne mesure, deux lieder de Schoenberg et, surtout, la Lorelei de Clara Schumann, ballade qui conclut, de flamboyante façon, cette première partie en demi-teintes.
Après l’entracte, Emily D’Angelo revient en robe – mais toujours en godillots ! – pour une seconde partie nettement plus opératique, dédiée à la regrettée Teresa Berganza (1933-2022), où elle peut faire valoir l’étendue de ses ressources techniques et expressives. Dans la cantate Giovanna d’Arco de Rossini – un des chevaux de bataille de son aînée –, elle déploie un large ambitus d’une surprenante homogénéité, une vaste palette de couleurs et une coloratura di forza très fluide, avec un grand sens de la déclamation.
Emily D’Angelo montre la même autorité dans « Cuando el amor se apodera » (El barquirello de Chapi), nous faisant souvenir qu’au Concours « Operalia » 2018, à 24 ans à peine, elle avait su glaner, en plus du Premier prix, celui de « zarzuela »… Un répertoire difficile, qui met en valeur la générosité de son registre grave, la fulgurance et la puissance de son aigu, mais aussi son sens de l’œillade.
Retour à Rossini, avec la cavatine de Rosina (Il barbiere di Siviglia), dont Emily D’Angelo habite chaque mot et chaque roulade, avec une espièglerie gourmande et une splendeur vocale rares. En bis, Als die alte Mutter de Dvorak, délivré à fleur de mots, et un second air de Chapi achèvent d’enflammer les spectateurs, qui font fête aux interprètes.
Il est vrai que Sophia Muñoz au piano frappe par une technique et une expressivité hors pair, et que les regards rayonnants échangés entre les deux artistes, après chaque pièce, sont particulièrement réjouissants !
Un magnifique concert, qui prouve qu’Emily D’Angelo, chanteuse impressionnante d’aplomb technique et de maturité artistique, dont la marge de développement est, à 28 ans, encore confortable, est aussi une merveilleuse récitaliste, de surcroît très à l’aise dans les cinq langues du programme.
THIERRY GUYENNE