Opéras Don Pasquale féministe à Dijon
Opéras

Don Pasquale féministe à Dijon

04/06/2022

Auditorium, 15 mai

À l’instar de certaine Carmen florentine, en 2018, dont l’héroïne assassinait Don José (!), Don Pasquale peut désormais, avec cette nouvelle production de l’Opéra de Dijon, être compté parmi les œuvres que la vague féministe a détournées au profit d’un discours « militant ».

Dans sa transposition contemporaine de l’ouvrage, Amélie Niermeyer force nettement le trait et en gauchit le sens, par petites touches, particulièrement dans son traitement de la scène de la gifle : face à un Don Pasquale plus agressif que de coutume, Norina, après l’avoir souffleté, le gratifie d’un baiser fougueux complètement hors propos, sauf à considérer qu’elle exprime ainsi son tempérament et sa liberté.

Cela nous sera confirmé dans le « Rondo » final, dont le texte, entièrement réécrit, nous parle d’égalité et de liberté. Norina joint alors le geste à la parole, refusant tous les hommages masculins, pour se réfugier dans la voiture où nous l’avions découverte, au I, du côté pile du décor monté sur une tournette.

Dans cette vision, Don Pasquale est un vieux beau, vivant dans une villa moderne un peu datée, qui soigne sa forme en faisant sa gym pendant l’Ouverture. Norina, devenue une sorte de SDF, vit dans son automobile – on se demande si elle n’y fait pas quelques passes à l’occasion, tant la vulgarité du personnage est poussée à l’extrême…

Tout, dans cette mise en scène, est au diapason d’une certaine crudité, et d’un regard se voulant aussi « sociologique » (pauvres contre riches, pour faire court) : les costumes tape-à-l’œil de Norina, les poubelles en scène pour les adieux d’Ernesto, le Notaire tout droit sorti de la rue et qui squatte le divan de Don Pasquale, le chœur du III, enfin, transformé en un meeting de livreurs genre Amazon, dont un éléphanteau en peluche, grandeur nature, orchestre le ballet privé de sens.

Ce gag, qui amuse beaucoup le public, comme celui des mariachis accompagnant la « Sérénade » d’Ernesto (d’évidence emprunté à la mise en scène d’Irina Brook pour le Staatsoper de Vienne, en 2015), est emblématique d’une production qui se veut très théâtrale et ajoute beaucoup de texte parlé – pas toujours compréhensible –, en oubliant un peu la poésie du livret.

En phase avec cette conception, Laurent Naouri est un Don Pasquale sans bonhomie, criant beaucoup, parlant plus souvent qu’il ne chante – desservi, il faut le dire, par l’acoustique de l’immense Auditorium qui l’oblige à pousser, surtout dans des ensembles où l’Orchestre Dijon Bourgogne, rondement mené par la baguette énergique de Debora Waldman, perd toute finesse.

Melody Louledjian allie à son soprano corsé, une technique de vocalisation impeccable ; elle compose une Norina délurée, s’en donnant à cœur joie dans le côté « brut de décoffrage » de son personnage. Cela ne l’empêche pas de nuancer dans les passages lyriques, notamment dans son duo avec l’Ernesto bien chantant, stylé et expressif, de Nico Darmanin. Si le Malatesta de l’excellent André Morsch est omniprésent, son rôle de deus ex machina n’est pas complètement explicite et devient, du coup, peu vraisemblable.

On sort de cette production assez troublé par le détournement opéré, mais bluffé par la composition délirante de la prima donna, Norina parfaitement en phase avec notre époque.

ALFRED CARON


© MIRCO MAGLIOCCA

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