Théâtre des Arts, 13 juin
Après treize longs mois de jachère, l’Opéra de Rouen Normandie a rouvert ses portes avec Simon Boccanegra. Cet ultime spectacle de la saison faisait partie des trente événements, du 19 mai au 3 juillet, fêtant la réouverture du Théâtre des Arts, en mettant toutes les places à 10 euros, pour inciter le public à retrouver le chemin du spectacle vivant.
Créée à Dijon, en mars 2018, cette production de Philipp Himmelmann n’avait pas convaincu notre confrère Patrick Scemama (voir O. M. n° 139 p. 39 de mai). Reprise ici par Ludivine Petit, elle nous a laissé partagé – indéniablement efficace, mais réductrice, voire simpliste, avec, comme idée-force, un héros en résilience du choc causé par la brutale disparition de Maria, trouvant dans la carrière politique une fuite en avant.
Une lecture pas inintéressante, mais qui aurait mérité une signalétique plus subtile que cette image récurrente de femme pendue, accompagnée d’un cheval, lui bien vivant, symbolisant, nous dit le programme de salle, la « migration des âmes après leur mort ».
Heureusement, la réalisation musicale réserve d’excellents moments. La distanciation physique contraint à déployer l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie sur la fosse recouverte, mais aussi au parterre, ce qui rend périlleux l’équilibre sonore avec le plateau. Antonello Allemandi parvient, la plupart du temps, à réfréner les ardeurs de la phalange, assurant une impeccable mise en place, y compris avec le Chœur, dont on applaudit la belle projection, malgré le masque.
Mais c’est le soin apporté à la distribution, très internationale, qui dispense les plus grands plaisirs. La soprano hongroise Klara Kolonits apporte toute sa science belcantiste et son frémissement à une Maria/Amelia passionnée. La voix est suffisamment corsée, bien projetée, avec un médium fruité et des aigus fulgurants, ou délicieusement flottants. Et quel trille d’école sur « Pace ! », à la fin du grand concertato du premier acte !
À l’autre extrême des tessitures, le Coréen Jongmin Park est un impressionant Fiesco. Sa voix de bronze, ample et homogène, possède ce creux dans le grave et ce brillant dans l’aigu qui font les grandes basses, capables de tonner, comme de murmurer en un impeccable legato. À ses côtés, on distinguera le jeune Américain André Courville, solide Pietro.
Basé en Allemagne, le baryton turc Kartal Karagedik est une vraie découverte, Paolo plein de relief, mais toujours nuancé. Qualité qui fait précisément défaut au ténor géorgien Otar Jorjikia, Gabriele à l’aigu stentorien, mais presque toujours au bord de la rupture, rétif à tout piano, comme au vrai cantabile.
Enfin, bien connu dans le rôle, l’Uruguayen Dario Solari incarne un émouvant Boccanegra. Mais ses limites dans l’aigu, parfois raide ou plafonnant, le rendent plus crédible en père aimant qu’en leader politique.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © MARION KERNO