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Rencontre du mois

Othman Louati : déployer Les Ailes du désir à l’opéra

02/11/2023
© Caroline Doutre

Commande de La Co[opéra]tive (1), en coproduction avec Angers Nantes Opéra, l’Opéra de Dijon et la Comédie de Clermont, le premier opéra du compositeur français porte à la scène lyrique Les Ailes du désir (1987), le film culte de Wim Wenders. Création, le 9 novembre, au Bateau Feu-Scène Nationale Dunkerque, dans un spectacle conçu par Johanny Bert et Grégory Voillemet.

Percussionniste, arrangeur d’œuvres du répertoire classique et, surtout, compositeur, comment votre disposition pour la musique est-elle née ?

Dès l’enfance, j’ai bénéficié, au sein de ma famille, d’un environnement musical, en particulier marqué par la présence de la voix lyrique. Après avoir achevé ma formation, au CNSMD de Paris, j’ai entamé des recherches sur les outils numériques de création musicale, et rejoint l’ensemble Le Balcon et la compagnie Miroirs Étendus. J’ai composé de la musique de chambre, des pièces mixtes, ainsi que des cycles de mélodies, sur des poèmes d’Yves Bonnefoy et de Paul Éluard. La voix a toujours été un référent majeur de mon écriture. Quand, sur une idée de Johanny Bert, La Co[opéra]tive m’a proposé d’adapter à l’opéra Les Ailes du désir, pour la première création au sein de ce collectif, j’ai aussitôt accepté cette commande, comme une aventure exceptionnelle.

Avec Les Ailes du désir, vous signez votre premier opéra. Comment a-t-il pris forme ?

Je me suis imprégné de l’atmosphère du film, de l’univers du Berlin des années 1980, ville divisée, avant la chute du mur, où se déroule cette histoire fantastique et profondément humaine. Au cœur de la cité, Potsdamer Platz est une terre d’errance, traversée par des êtres tourmentés, en particulier par le Vieux Rescapé de la Shoah. Deux anges, Damiel et Cassiel, bienveillants, invisibles, sauf des enfants, veillent sur les humains, recueillent leurs monologues intérieurs, leurs secrets intimes, leurs désirs inassouvis, témoins de leur détresse, mais aussi de leur aspiration au bonheur. Ils apportent cette part de merveilleux, à l’heure d’une tragique modernité. Damielle, protagoniste féminisée dans l’opéra, tombe amoureuse de Marion, une jeune trapéziste au bord du désespoir, car le cirque doit fermer ses portes, mais qui rêve néanmoins d’une nouvelle vie. L’ange décide alors de renoncer à l’éternité, pour adopter la condition humaine : vivre, sentir, voir la beauté de l’univers, et peut-être souffrir comme une mortelle, auprès de l’aimée.


Répétition des Ailes du désir. © JC Polien

Dans Les Ailes du désir, les frontières s’estompent entre l’univers surnaturel, incarné par les anges, et le monde réel. Comment avez-vous lié le ciel et la terre ?

Les anges errent à l’écoute des âmes berlinoises, dont les destins sont ancrés, non seulement dans leur histoire personnelle, mais aussi dans l’histoire de cette capitale déchirée, au lourd passé. Ce contexte confère une densité politique à la réalité du quotidien, et se conjugue avec la dimension étrange, poétique et onirique du conte. Mon opéra s’inscrit ainsi à la convergence des registres et des genres.

Comment caractérisez-vous les anges et les humains dans votre partition ?

Pour répondre à la puissance du cinéma par un geste lyrique, je me suis mis à distance du film. J’ai composé en maintenant une alliance forte avec l’écriture du livret de Gwendoline Soublin, la poésie des mots, la prosodie de la langue, en soutenant le rythme et le temps de la dramaturgie. L’opéra s’articule autour de la métamorphose de l’ange Damielle, quand le désir d’expérimenter l’éphémère vie terrestre l’humanise. J’ai travaillé la matière musicale, en sculptant le son des voix lyriques de sept chanteurs, doublés de marionnettes géantes, qui forment aussi le chœur. Les interprètes des anges mis à part, chacun d’eux assume plusieurs rôles, caractérisés par la ligne de chant et la tessiture. Damielle est confiée à une soprano, à la voix large et puissante, et Cassiel, à un baryton. Dans la fosse, treize musiciens de l’ensemble Miroirs Étendus exaltent une alchimie de timbres. J’ai composé une musique fluide, aux multiples couleurs, empreintes de sensualité. Selon le climat des scènes et des lieux, le traitement vocal et instrumental donne à écouter de grands airs lyriques, des polyphonies de la ville qui bruisse, la musique de cirque, vive et animée, le rock psychédélique et hédoniste de la boîte de nuit.

Votre opéra entretient l’émotion, en ouvrant une perspective de liberté et d’espoir à une société divisée…

De l’émerveillement à la tragédie, de la nostalgie à la quête d’étonnement, Les Ailes du désir transcendent le temps et réunissent des destins hasardeux, entre chuchotements des humains et dialogues des anges, afin que surgisse, après les désastres, un monde transfiguré.

MARGUERITE HALADJIAN

(1) Collectif réunissant les Scènes Nationales de Besançon, Dunkerque et Quimper, le Théâtre Impérial-Opéra de Compiègne, l’Opéra de Rennes et l’Atelier Lyrique de Tourcoing.

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