Passant de l’Académie de l’Opéra National de Paris à la toute nouvelle Troupe Lyrique, lancée en ce début de saison, Marine Chagnon s’est déjà distinguée au sein de la florissante galaxie des jeunes mezzos françaises. Zerlina dans Don Giovanni, jusqu’au 9 octobre, elle ne quittera plus, ensuite, la scène de l’Opéra Bastille, où elle sera notamment Dorothée dans la reprise de Cendrillon, à partir du 25.
Si les vertus éducatives de la musique sont saluées depuis Platon, peu de chanteurs témoignent de son pouvoir thérapeutique. Pour Marine Chagnon, la découverte de l’opéra fut « un médicament ». Alors qu’elle est une adolescente fragile, elle rejoint le Chœur d’enfants de l’Opéra de Dijon, sa ville natale, et se dit « éclaboussée par la magie » qui l’entoure, quand elle participe à des productions de La Bohème, Carmen ou Tosca. Cette force salvatrice va totalement bousculer ses certitudes et ses projets d’avenir.
Car rien ne destinait la jeune fille à une carrière de cantatrice. Bien qu’elle soit issue d’une famille de musiciens, du côté paternel (son grand-père est le chef d’orchestre Roland Chagnon), ce n’est pas au son des symphonies ou des concertos qu’elle grandit. Ses parents exercent, respectivement, dans le secteur scientifique et l’administration locale, et ce sont plutôt des harmonies de jazz et de variété française qui résonnent dans le foyer. Leur credo est le travail, et c’est avec cette valeur chevillée au corps que Marine Chagnon va tout entreprendre.
Soprano ou mezzo ?
Pendant longtemps, elle souhaite devenir pédiatre, jusqu’à la « révélation » de l’opéra, dont l’alliance entre « danse, chant et drame » l’émerveille. Elle intègre le Conservatoire de Dijon en classe de chant, sans que cela ne la détourne de ses études. À 17 ans, bac scientifique en poche, elle se pose la question de son inscription en faculté de médecine. Elle décide de profiter de son année d’avance pour réfléchir et « respirer ».
Destination Paris, où la chanteuse en herbe passe des auditions dans quatre conservatoires d’arrondissement. Elle est admise dans les quatre, mais son choix se porte sur la classe de Colette Hochain, dans le 15e. Avec ce professeur, les progrès de la jeune mezzo sont rapides, et elle obtient son DEM (Diplôme d’études musicales), à 18 ans. Bien qu’elle soit acceptée au CNSMD de Lyon, elle préfère rejoindre la Hochschule für Musik und Darstellende Kunst de Stuttgart, dans le cadre du programme Erasmus.
Là, on lui affirme qu’elle est soprano lyrique. Période de doute et de remise en question. C’est une rencontre avec Elène Golgevit qui va changer la donne et l’inciter à revenir en France, alors que l’Allemagne lui tend les bras. Sans qu’elle puisse l’expliquer, Marine Chagnon a l’intuition que c’est avec cette pédagogue, professeur au CNSMD de Paris, qu’elle va apprendre. Pendant quatre ans, elle va ainsi tenter le concours d’entrée de l’institution, se faisant recaler, les trois premières fois, au second tour. C’est l’incompréhension et la désolation. Mais pas le découragement.
Marine Chagnon fait fructifier ces années en se formant à la musique ancienne, chantant notamment Euridice, dans L’Orfeo de Monteverdi, à l’Opéra de Dijon. Et la quatrième tentative est la bonne – sur le fil, puisqu’elle a atteint la limite d’âge de 24 ans. Elle se replonge de manière acharnée dans le travail – « les choses difficiles » –, car elle réalise que son niveau technique est trop bas. Pendant sa formation, elle continue toutefois à faire des concerts et participe à des productions qui, malheureusement, ne verront pas le jour, à cause du Covid. Mais, progressivement, elle s’impose : cette fois, c’est du premier coup qu’elle est admise à l’Académie de l’Opéra National de Paris, en 2021.
Grandir vocalement
La mezzo qualifie cette aventure de « surprenante », car pendant deux ans, elle tente de repousser ses limites, pour être « tout-terrain ». Elle se souvient ainsi de « l’expérience incroyable » de L’incoronazione di Poppea, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, sous la direction de Vincent Dumestre, mais aussi de La Giuditta d’Alessandro Scarlatti, aux Rencontres Musicales d’Évian, ou encore du Page, dans Rigoletto, cette fois sur la scène de l’Opéra Bastille. Cette entrée réelle dans un milieu professionnel lui donne confiance, et l’aide à grandir vocalement.
Si une phrase devait qualifier Marine Chagnon, ce serait, sans doute, le célèbre vers de Boileau : « Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,/Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Doucement, cette bosseuse cultive son jardin et s’impose dans le paysage lyrique. Lors de la dernière saison, elle chante notamment Tisbe dans La Cenerentola, au Palais Garnier, Kate Pinkerton dans Madama Butterfly, à l’Opéra National de Bordeaux, et Lucilla dans La scala di seta, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Enfin, en 2021, elle a enregistré, chez Mirare, avec la pianiste Joséphine Ambroselli, un disque de mélodies suédoises, intitulé Ljus, ce qui signifie « lumière » (voir O. M. n° 184 p. 80 de juillet-août 2022).
Aujourd’hui, les années de doute semblent loin, tout comme sa vocation de médecin. Et la scène lyrique sait qu’il faut désormais compter avec Marine Chagnon. Sa nomination dans la catégorie « Révélation Lyrique », aux Victoires de la Musique Classique 2023, en témoigne. De même que son recrutement dans la Troupe Lyrique de l’Opéra National de Paris, nouvellement ressuscitée, pour pas moins de cinq rôles, cette saison. Autant d’occasions pour la mezzo de présenter les multiples facettes d’un talent qui n’est plus à démontrer.
KATIA CHOQUER