Interview Michele Spotti, la saison française d’un...
Interview

Michele Spotti, la saison française d’un jeune chef italien

26/02/2024
© Marco Borelli

Après ses débuts à l’Opéra National de Paris, en novembre, dans Turandot, le nouveau directeur musical de l’Opéra et de l’Orchestre Philharmonique de Marseille est au pupitre d’Idomeneo, jusqu’au 7 mars, à l’Opéra National Capitole Toulouse, où il enchaîne avec La Cenerentola, à partir du 29. Retour, ensuite, dans la cité phocéenne, pour Le nozze di Figaro, du 24 avril au 3 mai.

Avoir grandi dans une capitale culturelle comme Milan a-t-il compté, au cours de votre apprentissage de la musique ?

J’ai eu beaucoup de chance de naître dans cette ville, à la vie musicale très riche. Et je ne parle pas que du célèbre Teatro alla Scala, mais aussi de toute une activité souterraine, qui forme un excellent humus pour un jeune étudiant. Milan est, avant tout, un centre d’affaires, ce qui m’a, paradoxalement, aidé, car j’ai pu y acquérir d’excellents conseils managériaux. J’ai, également, eu le privilège de grandir dans un environnement musical : mes parents sont passionnés d’opéra, tandis que ma grand-mère était pianiste et cheffe de chœur. À l’âge de 5 ans, elle m’a emmené voir Carmen. Un véritable choc ! En tant qu’interprète, ma passion pour le lyrique m’est, pourtant, venue bien après celle du répertoire symphonique. Il faut dire que je suis violoniste de formation ; ma rencontre avec mon professeur de direction d’orchestre, Daniele Agiman, a changé ma vie. Il faisait étudier la technique sur les récitatifs des Nozze di Figaro, ce qui n’est vraiment pas banal ! Après avoir passé mes diplômes à Milan, je suis allé parfaire mon cursus à l’étranger. J’ai, d’abord, rejoint la HEM de Genève, ville où je suis resté quatre ans. La Suisse est une plaque tournante des influences musicales, ce qui m’a permis de beaucoup élargir mon horizon. J’ai, ensuite, vécu, pendant douze mois, à Hanovre. Puis, ma carrière s’est lancée.

Comment se prépare-t-on, en tant que jeune chef, pour débuter dans des théâtres, où l’on n’a presque aucune répétition pour les reprises, comme le Staatsoper de Vienne ou le Semperoper de Dresde ?

Même pour mes débuts à l’Opéra National de Paris, en novembre dernier, dans Turandot, dont je n’ai dirigé que les dernières représentations, j’ai déboulé directement dans la fosse de l’Opéra Bastille ! Cela permet de se concentrer sur l’essentiel, en laissant de côté les fioritures. Je peux vous assurer que ce n’est jamais un cadeau ; il faut être un peu masochiste pour ne travailler qu’ainsi. La préparation reste la clé de la cohérence artistique. C’est la dose d’adrénaline, qui aide à surmonter le stress et les impondérables d’une telle situation. Mieux vaut, donc, que cela reste l’exception. Au Staatsoper de Vienne, pour mes débuts dans La Fille du régiment, j’ai, quand même, eu droit à une scène-orchestre. Au bout de quelques secondes, toute mon anxiété a disparu, et les musiciens ont commencé à me sourire. Je suis, aussi, très conscient du poids de l’Histoire : me tenir debout sur le même podium que Gustav Mahler, Richard Strauss ou Herbert von Karajan m’a fait, forcément, donner le meilleur de moi-même !


Avec l’Orchestre Philharmonique de Marseille. © Anthony Carayol/Ville de Marseille

Vous êtes, depuis le début de la saison 2023-2024, directeur musical de l’Opéra et de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, une ville qui a encore un vrai public de passionnés « à l’ancienne », comme en Italie. Comment vos premiers mois dans la cité phocéenne se sont-ils passés ?

Très positivement, grâce à la collaboration avec le maire, Benoît Payan, et son équipe. Créer une unité de pensée et une homogénéité de travail était la base pour obtenir de bons résultats. Nous sommes en train de renouveler les effectifs de l’Orchestre, et j’ai beaucoup de recrutement à faire. Quant au public, il m’a fait une fête incroyable, lors des concerts du Nouvel An. Le seul défaut de cette phalange, c’est qu’elle doute de ses capacités. Les musiciens marseillais ne s’aiment pas encore assez ! J’insiste donc, très régulièrement, sur le jugement positif qu’ils pourraient, légitimement, s’adresser. Mais ils finiront par me croire ! Ce n’est en rien de la flatterie de ma part ; j’ai dirigé dans assez d’endroits pour témoigner de leur excellent niveau. D’ailleurs, notre premier contact a eu lieu, en octobre 2021, sur une production de Guillaume Tell. Tout sauf un ouvrage facile, d’autant que la période était extrêmement complexe, au cœur de la crise du Covid. Le Chœur était caché derrière la scène, l’Orchestre au parterre… Mais nous avons trouvé, dans la difficulté, des solutions valables pour nous et pour le public.

Le Covid a-t-il freiné votre ascension de chef ?

Je ne crois pas. J’ai même eu beaucoup de chance, par rapport à nombre de mes collègues. Ma carrière était déjà sur les rails, quand la crise a débuté, en février 2020. Et, dans un premier temps, j’ai bénéficié du fait que beaucoup de chefs étrangers, qui venaient de loin, d’Asie ou d’Amérique du Nord, ont été bloqués chez eux. Ce qui fait que, même en Italie, j’ai, sans doute, eu davantage d’opportunités qu’en période ordinaire.

On vous connaît, surtout, comme chef de musique italienne, de Rossini à Verdi…

On m’accroche souvent, en effet, cette étiquette. Mais mes origines de chef n’étaient, ni dans le domaine lyrique, ni dans le répertoire italien. Déjà, comme violoniste, j’avais une appétence particulière pour la musique germanique, pour les grands concertos de Brahms, de Beethoven… Je sais que les étiquettes sont pratiques, mais elles sont, aussi, la mort de notre métier, car on nous demande, très vite, uniquement ce pour quoi on est connu. Surtout dans sa jeunesse, un chef doit, à tout prix, cultiver l’hétérogénéité du répertoire. Nous avons tous nos préférences, et les miennes me porteraient, avant tout, vers Mahler. Je vais diriger la Symphonie n° 5, à Marseille, le 16 juin, et sa musique occupe une grande place dans mes programmes, lors des prochaines saisons. De la même manière, si, un jour, Bayreuth m’appelle, j’y vais à pied ! Je me suis déjà rendu deux fois, au Festival, en tant que spectateur, et j’ai passé les représentations à avoir la chair de poule. Dans mes projets à moyen terme, Wagner figure, d’ailleurs, en bonne position – même si je ne peux encore rien annoncer officiellement, à ce stade. J’aime aussi, énormément, Ravel, Puccini, et même le Johann Strauss de Die Fledermaus !

Vous retrouvez l’Opéra National Capitole Toulouse, où vous avez débuté, la saison dernière, avec La traviata, pour Idomeneo. Non pas dans la version de la création munichoise, en 1781, mais dans la révision viennoise de 1786, avec le rôle d’Idamante confié à un ténor…

J’ai beaucoup insisté pour faire cette version dite « de Vienne », plus équilibrée dans la répartition vocale, plus harmonieuse dans les ensembles. À la création, à Munich, on pouvait déjà percevoir le génie dramatique de Mozart, mais quelque chose clochait. Concernant Idamante, j’ai tenu à avoir Cyrille Dubois, car il a la voix parfaite pour ce rôle, avec une clarté qui le différencie, immédiatement, ­d’Idomeneo, nettement plus mûr. Nous avons dû prendre quelques libertés avec la partition, et pratiquer des coupures assez habituelles, comme celle du « Ballet » final. Non que la musique ne soit pas de qualité – elle est même extraordinaire ! –, mais terminer un opéra par un ballet de vingt-cinq minutes est difficile à justifier, aujourd’hui. L’écriture ­d’Idomeneo se situe à un passionnant carrefour d’influences. On est, déjà, dans le romantisme, avec cet orchestre fourni – actif jusque dans les récitatifs, dans le prolongement de la tradition gluckiste –, mais avec, aussi, des restes de style baroque dans l’écriture vocale. Le chef doit faire le lien entre toutes ces composantes.


Raphaël Brémard,  Anne-Catherine Gillet, Marie-Ange Todorovitch, Christian Federici et Patrizia Ciofi, qui reprendra, à partir du 24 avril, à l’Opéra de Marseille, le rôle de la Comtesse Almaviva, dans la production des Nozze di Figaro de Vincent Boussard, ici à la création, en 2019. © Christian Dresse

Vous serez, à la fin de la saison, au pupitre pour Le nozze di Figaro, à Marseille. En ce qui concerne la direction des opéras de Mozart, penchez-vous plutôt vers le style « à l’ancienne » de Riccardo Muti, ou la pratique « historiquement informée » de Riccardo Minasi ?

Je suis au milieu ! J’aime, par exemple, beaucoup les Mozart de James Levine, ou ceux de Claudio Abbado. Mais la pratique « historiquement informée » a tellement apporté à ce répertoire, en termes de fluidité. Néanmoins, j’écoute le moins possible mes collègues, quand je dois diriger une pièce ; je veux conserver une liberté d’action et d’interprétation. Le fait que la musique de Mozart soit universelle permet, en tout cas, une chose merveilleuse : que des approches antagonistes soient tout aussi valables l’une que l’autre.

Vous semblez aimer travailler les couleurs d’une manière chambriste, que ce soit dans La traviata ou, ce qui peut paraître moins évident, dans Turandot

Mes deux boussoles sont, en effet, la finesse des couleurs et l’articulation. Cela vient de mon passé de violoniste ; j’ai beaucoup joué en quatuor à cordes, et aussi, un peu, en quintette. Pour moi, l’orchestre n’est rien d’autre qu’un quatuor élargi. J’aime à garder le contrôle sur les petits détails. C’est pour cela que je dirige toujours avec la partition, même si je tourne, parfois, quarante pages d’un coup ! Ainsi, je peux intervenir sur des éléments très intriqués dans la masse. Par extension, j’apprécie que chaque représentation soit unique ; je teste des choses en cours de soirée, afin que jamais la routine ne s’installe. Les musiciens, à Marseille, savent qu’en termes de couleurs, il ne faut pas trop noter sur la partition ce que je demande, car il peut m’arriver de diriger une phrase piano, un soir, et un peu plus fort, le lendemain, ou de souligner des éléments différents dans l’accompagnement.

Que faites-vous, quand vous ne dirigez pas ?

Après la générale-piano de Die Zauberflöte, que je dirige au Teatro dell’Opera de Rome (1), je vais jouer au football ! J’ai besoin de faire du sport, et je suis un supporter passionné de la Juventus de Turin, par atavisme familial – mon père a choisi mon prénom, en hommage à Michel Platini ! J’adore lire, je suis passionné d’histoire, et j’occupe une partie de mon temps libre à écouter des podcasts. J’aime, aussi, beaucoup cuisiner. Des choses assez courantes et ordinaires, je crois, mais qui permettent de décompresser, entre les concerts et les représentations.

Propos recueillis par YANNICK MILLON

(1) L’entretien a été réalisé le 9 janvier 2024.

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