Interview Luka Faulisi : « La voix touche de l’homme à l...
Interview

Luka Faulisi : « La voix touche de l’homme à l’homme, du corps au corps »

04/03/2023
© Patrick Fouque

À 21 ans, le violoniste franco-italo-serbe n’a pas la langue dans sa poche, et ne connaît pas la fausse modestie. Avec Aria, son premier album paru chez Sony Classical, Luka Faulisi déclare sa flamme à l’opéra, tant en jetant son dévolu sur les pages les plus célèbres de CarmenFaust et La traviata, qu’en levant le voile sur un jardin plus secret, où Rimski-Korsakov côtoie Szymanowski. Rencontre. 

Pourquoi vous être tourné vers le répertoire lyrique pour votre premier album ?

Le projet est né durant un été où j’ai joué, au cours des nombreuses master classes auxquelles j’ai participé, des pièces plus ou moins virtuoses transcrites à partir d’airs d’opéra. De plus, nous vivions à quelques pas de l’Opéra Bastille où ma sœur, qui est chanteuse, allait souvent, tard le soir, rencontrer les artistes à la fin des spectacles. Et nous aimons l’art lyrique dans la famille. C’est ainsi que je me suis dit qu’il y avait une histoire à raconter, en liant cette part autobiographique à de magnifiques pièces pour violon.


Luka Faulisi dans le Grand Foyer du Palais Garnier. © Moricette Schlosser

Comment avez-vous conçu le programme, entre opéras très connus et titres plus rares ?

J’ai essayé d’élaborer ce programme un peu pour les gens du métier, et un peu pour le grand public. Il est vrai que l’on entend souvent les mêmes pièces ; mais on a besoin de ces grandes œuvres pour attirer les auditeurs – si je n’avais enregistré que du Szymanowski, cela n’aurait pas marché ! Je voulais donc qu’ils retrouvent des airs célèbres, comme dans La traviata ou Carmen. Mais je souhaitais aussi faire découvrir des perles que les gens ne connaissent pas : j’ai d’ailleurs retiré des morceaux du programme, parce qu’ils n’allaient pas surprendre le public. J’aime beaucoup trouver des partitions que je suis quasiment le seul à jouer : c’est un peu comme si je les avais composées moi-même, ou comme ces collectionneurs qui possèdent des pièces uniques au monde. Je crois même que si beaucoup d’artistes les interprétaient, je ne les jouerais plus. C’est important pour moi de travailler le concept des albums, et de mettre en lumière des compositeurs un peu laissés de côté. Il faut un peu de tout ; sinon c’est comme ouvrir un Kinder Surprise, et qu’il n’y ait pas grand-chose à l’intérieur !

L’album contient à la fois des paraphrases virtuoses sur des airs d’opéra, et des airs retranscrits quasiment à l’identique. Dans ces deux cas, comment raconte-t-on l’histoire sans l’appui du texte ?

L’air de Lenski d’Eugène Onéguine (Tchaïkovski) et le chant de Roxane du Roi Roger (Szymanowski) sont quasiment tels que les interprèteraient des chanteurs. En revanche, les grandes fantaisies, comme Carmen ou Faust, retranscrivent à la fois les airs connus, les passages instrumentaux et les pas de danse : on y retrouve la musique, ainsi que la mise en scène, la chorégraphie, l’orchestration… Mieux vaut, évidemment, connaître l’histoire racontée, mais les pièces sont tellement bien écrites qu’à partir du moment où l’on sait en construire la chronologie, elles fonctionnent par elles-mêmes. C’est le cas de la fantaisie sur Carmen, qui est très structurée : il faut la voir comme un court métrage, et elle faisait d’ailleurs partie d’un film [ndlr : Humoresque (1946) de Jean Negulesco]. Elle a été tellement bien jouée, par des violonistes incroyables, que je me suis forcément demandé comment elle allait sonner avec moi ; mais je l’ai choisie parce que c’est une pièce magnifique, quand bien même je ne l’interprète pas de manière fulgurante. Quant à l’air de Lenski, Jascha Heifetz l’avait enregistré, sans en tirer, selon moi, toute la beauté. Sur ce genre de partition, j’ai essayé de montrer qu’il s’agit de vraies belles œuvres.


Luka Faulisi dans une loge du Palais Garnier. © Moricette Schlosser

Quel est votre rapport à la voix, que ce soit en tant que violoniste ou en tant qu’auditeur ?

La voix est quelque chose d’exceptionnel. Elle touche de l’homme à l’homme, du corps au corps, alors que l’instrument reste forcément extérieur. Il y a quelque chose en elle qu’on ne peut pas expliquer, et ce, quel que soit le répertoire : c’est évidemment le cas pour la musique lyrique ou sacrée, mais aussi dans d’autres genres, comme la pop, par exemple. C’est pourquoi les instrumentistes ont une telle admiration pour elle – même si elle demeure inatteignable par d’autres moyens que le chant. La voix nous parle à tous parce que chacun en possède une, bien qu’on ne la développe pas de la même manière. Ce premier disque est pour moi une sorte de présentation. Mais il est aussi comme un admirateur qui tente, avec ses propres moyens et son propre chemin, d’imiter la voix, tout comme un enfant essaierait d’imiter ses parents. C’est en tout cas le travail d’un amoureux de l’art lyrique, comme si je lui déclarais ma flamme. Ce que j’espère dans cet enregistrement, c’est que l’auditeur puisse, par moments, ne plus entendre le piano et le violon, mais, au moins un peu, l’opéra et les voix. 

Propos recueillis par CLAIRE-MARIE CAUSSIN

À écouter :

Aria, fantaisies et arrangements d’airs tirés de Carmen de Bizet, Faust de Gounod, Le Coq d’or de Rimski-Korsakov, Le Roi Roger de Szymanovski, Eugène Onéguine de Tchaïkovski et La traviata de Verdi, avec Luka Faulisi (violon) et Itamar Golan (piano), CD Sony Classical 196589386717.

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