Si elle est partie à la conquête du monde lyrique avec le rôle-titre de La traviata, c’est aux héroïnes de Janacek que Corinne Winters est désormais associée. Et plus particulièrement à Katia Kabanova, qu’elle incarne à l’Opéra de Lyon pour ses débuts scéniques en France, dans une nouvelle production de Barbara Wysocka, dirigée par Elena Schwarz. Rencontre.
Quelle est la production la plus sportive à laquelle vous ayez participé ?
La Katia Kabanova mise en scène par Barrie Kosky, au Festival de Salzbourg, l’été dernier. Le Felsenreitschule est très large, et en contraste de la masse de mannequins immobiles, de dos – que beaucoup de spectateurs ont pris pour des figurants –, je devais sans cesse courir sur le plateau. C’était un vrai marathon ! Mais je citerais aussi la production de La traviata signée Peter Konwitschny, qui marquait, en 2013, mes débuts dans l’Union européenne, quand que le Royaume-Uni en faisant encore partie. J’avais 29 ans, j’étais très inexpérimentée, et je ne m’attendais pas du tout à une production aussi physique. L’opéra était donné sans entracte, beaucoup d’épisodes qui font intervenir le chœur étaient coupés : tout était centré sur Violetta.
À la création de quel opéra auriez-vous aimé participer ?
Sans doute l’un des opéras de Janacek, ou Madama Butterfly. D’ailleurs, c’est après en avoir vu une représentation que Janacek a écrit Katia Kabanova, et je perçois beaucoup de ponts entre les deux univers. Quand j’ai chanté Katia à Brno, j’ai visité la maison où le compositeur a passé ses dernières années, et j’ai vu le piano sur lequel a été conçu cette partition. Il avait déjà beaucoup vécu, et sa vision de l’humanité était beaucoup plus mature que celle de la plupart des compositeurs, quand ils écrivent leurs chefs-d’œuvre. Même s’il avait un caractère difficile, il comprenait vraiment la psyché féminine.
Que préférez-vous faire quand vous ne chantez pas ?
Je suis une lectrice compulsive. J’aime les livres, même en tant qu’objets – bien que, trop souvent, je doive délaisser le format papier, car je voyage trop. Je lis tout ce qui me tombe sous la main, des romans policiers contemporains à Dostoïevski, en passant par les classiques américains, comme Steinbeck. Je me passionne aussi de plus en plus pour les langues. En tant qu’Américaine, je n’ai pas eu la chance de grandir en apprenant des langues étrangères. J’ai juste abordé des rudiments d’espagnol à l’école, mais j’ai ensuite choisi, pour me lancer dans la carrière lyrique, d’étudier l’italien. Je pense avoir atteint un bon niveau de conversation, mais j’aimerais devenir vraiment bilingue. Plus récemment, j’ai commencé le tchèque, qui est une autre paire de manches. J’ai toujours aimé la sonorité des langues slaves, et vu le nombre de propositions d’opéras de cette sphère géographique que je reçois, j’ai pensé que le moment était venu de franchir le pas. Parallèlement, je profite d’être à Lyon pour me mettre au français. C’est un nouveau défi très stimulant.
De quelle grande chanteuse du passé auriez-vous aimé être l’élève ?
Maria Callas, sans la moindre hésitation. Elle représente pour moi l’artiste avec un grand A. Dans ses jeunes années, avant d’avoir le cœur brisé et la voix abîmée, sa technique était tellement impressionnante. Elle pouvait chanter une variété incroyable de rôles, tout en étant techniquement très en phase avec chacun d’entre eux. Mais je retiens encore plus son investissement émotionnel, sa liberté totale dans l’incarnation, le côté viscéral de ses personnages. C’était la meilleure actrice du monde lyrique de son époque, la musicienne la plus accomplie, qui savait donner un maximum d’intensité à chacune de ses phrases. Et comme elle était polyglotte, j’aurais vécu comme une bénédiction de pouvoir travailler avec elle.
Quel rôle ne rechanteriez-vous sous aucun prétexte ?
J’ai chanté Mélisande à l’Opernhaus de Zurich, dans une merveilleuse production de Dmitri Tcherniakov, mais c’est presque plus un rôle d’actrice que de chanteuse. Vocalement, il n’y avait pas de défi, et même si l’expérience scénique m’a permis d’exprimer beaucoup de choses, il ne faut plus que je touche à ce rôle. C’est la même chose avec Mozart, qui est un génie universel acclamé à raison, mais dont la vocalité ne convient plus à l’évolution actuelle de mon instrument. Je ne veux pas dire « plus jamais » le concernant, car certaines portes peuvent rester ouvertes dans la masse de musique scénique qu’il a produite. J’en ai assez peu chanté dans mes jeunes années, mais je trouvais toujours qu’il ne me permettait pas de montrer ce que je fais le mieux, à la fois vocalement et dramatiquement. C’est une écriture qui exige beaucoup de retenue. Je préfère les rôles où il faut tout donner.
Propos recueillis par YANNICK MILLON
À voir :
Katia Kabanova de Leos Janacek, avec Willard White (Dikoï), Adam Smith (Boris), Natascha Petrinsky (Kabanicha), Oliver Johnston (Tikhon), Corinne Winters (Katia), Benjamin Hulett (Koudriach), Ena Pongrac (Varvara) et Pawel Trojak (Kouliguine), sous la direction d’Elena Schwarz, et dans une mise en scène de Barbara Wysocka, à l’Opéra National de Lyon, du 28 avril au 13 mai 2023.