Portrait Kévin Amiel, la force tranquille
Portrait

Kévin Amiel, la force tranquille

08/12/2022
© Océane Amiel

Le jeune ténor, originaire de la Ville Rose, n’en finit plus d’enchanter les scènes d’opéra. Celui qui aurait rêvé de rencontrer son idole, Pavarotti, écoute du rap, pratique le kung-fu, regarde Stranger Things, mais veille à apporter à ses rôles tous ses talents d’acteur.

Vous avez sûrement déjà entendu ce ténor qui était au Théâtre des Champs-Élysées en juin dernier pour la Folle soirée de l’opéra, retransmise sur Radio Classique. Kévin Amiel est un artiste épanoui, bien dans son époque et volontiers facétieux. Mais ne vous y trompez pas, derrière ses airs malicieux se cache un homme acharné qui ne prend pas son métier à la légère. Même si rien ne laissait présager un tel parcours, le hasard des rencontres, une volonté de fer et la rigueur de son travail ont permis à ce ténor de se hisser parmi les étoiles montantes de l’opéra.

Un air de variété

Originaire de la région toulousaine où il a grandi, le jeune Kévin est bercé par la variété française. Il découvre sa vocation en entendant Florent Pagny interpréter la chanson Caruso de Lucio Dalla : « Avec son album Baryton, il a voulu rendre hommage au classique ; pour moi, il reste le plus crédible des chanteurs de variété qui se sont frottés à l’opéra. » Et si d’autres chanteurs que lui ont eu ainsi accès au lyrique, à l’instar de Roberto Alagna ou nombre d’artiste italiens, géorgiens ou albanais, chez nous, le cloisonnement reste de mise. « Dans certains pays, l’opéra fait vraiment partie de la culture populaire, au contraire de la France qui porte un regard très élitiste sur cette forme artistique», regrette-t-il ainsi.
Dans sa jeunesse, Kévin ne s’épanouissait pas vraiment dans la sphère scolaire : « Mon passe-temps favori, c’était regarder par la fenêtre ! » Et pourtant, c’est au lycée, par l’entremise de sa professeure de mathématiques que tout a démarré : « En fin d’année, influencé par l’écoute de Florent Pagny, j’ai chanté Caruso. »

L’enseignante décèle en lui un talent brut et organise une audition avec le baryton Christian Nadalet, qui se trouvait alors dans la région, à l’occasion du festival Éclats de voix. Ce dernier découvre chez Kévin une voix de ténor, mais le prévient : « Le travail vocal demande beaucoup de patience et de sacrifices. » Qu’à cela ne tienne, le travail, ce n’est pas ce qui effraie ce Toulousain au sang chaud : « Au moment où il a fallu faire des choix, je me suis lancé ! Et lorsque j’entreprends quelque chose, je me donne les moyens d’aller au bout. » De ses années d’école, il garde aussi le souvenir reconnaissant des ateliers théâtre — « le seul cours où je me sentais dans mon élément » – auxquels il a toujours participé. « Interpréter différents personnages me plaisait tellement que j’ai pensé m’orienter vers le théâtre ou le cinéma de manière professionnelle. » Un plaisir de la scène qui ne l’a jamais quitté, comme en attestent aujourd’hui ses interprétations, tantôt truculentes, tantôt profondes, mais toujours justes et touchantes.


Kévin Amiel interprète Nadir dans Les Pêcheurs de perles (Bizet) au Teatro Regio de Turin, en 2019 © Edoardo Piva

Paroles d’idoles

C’est donc à l’âge de 17 ans qu’il commence à prendre des cours de chant dans l’école de musique locale. Son professeur d’alors lui fait écouter Luciano Pavarotti, « le ténor des ténors », auquel Kévin voue une grande admiration : « J’ai été frappé en plein cœur dès la première écoute ! Sa voix solaire, son timbre… Et par ailleurs, j’aime beaucoup sa bonhomie, l’image accessible qu’il avait et qui ont fait de lui une figure populaire. Ne pas avoir eu l’occasion de le rencontrer reste le grand regret de ma vie. » Mais le professeur de Kévin, qui a suivi quelques cours avec celui de Pavarotti, infuse cependant en lui l’esprit du ténor de Modène. Ainsi, il n’est pas bien loin et joue son rôle dans la transmission d’une vraie « technique italienne». Le jeune chanteur module cependant : « Il ne faut jamais chercher à copier ; c’est un travers que l’on doit éviter à tout prix. » Reste qu’au Concours Pavarotti, à Modène (toujours !), c’est Carlo Bergonzi, qu’il croise sur son chemin. En aparté, celui-ci lui assène des mots qui contribueront à lui donner confiance : « Tu es très jeune, mais tu es un vrai ténor ! ». La première d’une série de rencontres importantes, de Marcelo Alvarez « qui a accepté de m’écouter et m’a donné de nombreux conseils», à Roberto Alagna «qui a toujours été d’une incroyable gentillesse avec moi et que je revois toujours avec
plaisir », en passant par Ludovic Tézier, l’une de ses idoles.

La patience comme atout

En 2008, Nicolas Joel, alors directeur du Capitole de Toulouse, donne sa chance à l’enfant du pays, arrivé en finale au concours international de chant organisé dans la Ville Rose et, à 19 ans, Kévin Amiel fait ses premiers pas sur scène, dans une production de La Périchole d’Offenbach, avec Jean-Philippe Lafont et Karine Deshayes. Par la suite, le jeune ténor participera à de nombreuses compétitions pour se faire connaître. Pourtant, l’atmosphère particulière et la pression inhérente à ces moments où les chanteurs sont exposés face aux professionnels ne l’ont jamais réellement fait trembler. « Je suis quelqu’un d’assez serein, sourit-il, et ces expériences m’ont surtout permis de comprendre quels étaient mes atouts et mes défauts et donc, entre autres, d’apprendre à être patient. » Et de reprendre : « On est à une époque où tout va à cent à l’heure. La concurrence est énorme et on voit de plus en plus de carrières éclair, avec des jeunes hyper exposés, qui interprètent des rôles très lourds, qui brûlent les étapes et finissent par se détruire la voix. Avant, les chanteurs prenaient beaucoup plus leur temps ; ainsi, Pavarotti a commencé à être connu autour de ses 35 ans. » Il explique : « La clef de la longévité c’est de savoir dire non, mais c’est très dur, car c’est souvent mal perçu et on a peur de se décrédibiliser auprès de directeurs de théâtres. » Une crainte très répandue chez les artistes lyriques qu’il tente de tempérer : « Si tu chantes bien et si tu as des choses à dire sur scène, on te proposera autre chose. J’ai refusé des Don José et des Hoffmann, alors que je n’avais pas 30 ans ». Car pour lui, il est nécessaire d’établir un plan de carrière, d’anticiper l’évolution de son instrument afin d’éviter des erreurs de parcours. « Il n’y a pas de recette miracle. Les rencontres, les opportunités et le facteur chance comptent, mais la rigueur, le travail et… la patience sont à mon avis indispensables. »


Kevin Amiel en récital © Océane Amiel

Travailler, toujours

« Ce métier est transcendant, analyse Kévin Amiel, c’est tout un monde artistique fait de rencontres incroyables, y compris avec les gens qui travaillent avec nous, mais aussi avec les personnages qu’on interprète. Chanter, c’est vraiment une psychanalyse, on est confronté à soi-même, à ses émotions, à ses propres démons, à sa sensibilité aussi. » Mais derrière le lustre artistique, il y a un travail préparatoire colossal «et le public ne s’en rend pas forcément compte», regrette-t-il. « C’est, entre autres, ce que j’essaie d’expliquer sur les réseaux sociaux, pour éveiller les consciences et montrer aux gens qu’on n’est pas des ovnis, mais des êtres humains avec des peines et des joies, qui peuvent aussi tomber malades. En contrepartie, via les réseaux, je reçois souvent des témoignages de jeunes qui m’écrivent après m’avoir vu chanter quelque part, ce qui est vraiment génial, car c’est un public spontané et plein de vie. » Quand il ne répète pas, le sport fait partie intégrante du quotidien : musculation, course à pied, arts martiaux, notamment le kung-fu qu’il pratique depuis son enfance et qui lui fait « un bien fou! » Pour se détendre, il y a Netflix avec la dernière saison de la série Stranger Things, et la musique, évidemment. « J’écoute de tout, s’amuse-t-il, autant du dubstep pour faire du sport que du rap ou des groupes comme Coldplay. » Et d’ajouter en riant : « J’aime bien regarder les gens dans la rue, et les comparer à des stars de cinéma. » Une réminiscence du temps où il s’initiait aussi à la comédie ?

MAXIME PIERRE

Un article à retrouver dans LYRIK n°2.

À voir :

Concert en hommage à Maria Callas, avec le Quatuor Elmire, Cristina Pasaroiu (soprano), Kévin Amiel (ténor), Julien Bourin (flûte), Frédéric Chaslin (piano) et Olivier Bellamy (récitant), dans le cadre de la Saison musicale des Invalides, à la Cathédrale Saint-Louis, le 15 décembre 2022.

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