Interview Julien Chauvin : « Ma démarche n’est pas de re...
Interview

Julien Chauvin : « Ma démarche n’est pas de rechercher l’originalité à tout prix »

28/03/2023
© Marco Borggreve

Déjà lorsqu’il était premier violon du Cercle de l’Harmonie, Julien Chauvin montrait un instinct théâtral sans faille. Avant de prendre fait et cause, à la tête de son propre ensemble, Le Concert de la Loge, pour des ouvrages lyriques oubliés. S’il s’attaque aujourd’hui, avec le Requiem de Mozart, à un monument du répertoire sacré, c’est dans la version parisienne de 1804, qui forme un diptyque avec la Messe pour le sacre de Napoléon de Paisiello, dans le disque paru chez Alpha. Explications.

Comment est né ce programme, et pourquoi avoir choisi cette version du Requiem de Mozart, créée en 1804 à Paris ?

Ce projet est né dans la continuité de nos précédents enregistrements avec le Concert de la Loge, et notamment des Stabat Mater de Haydn et de Pergolèse, que nous avons gravés dans des versions parisiennes. En nous intéressant, avec le Palazzetto Bru Zane et Alexandre Dratwicki, à Napoléon et à la Messe pour le sacre de Paisiello, nous nous sommes rendu compte que celle-ci et le Requiem avaient été créés de manière concomitante : l’œuvre de Mozart aurait dû être jouée début décembre, pour l’anniversaire de la mort du compositeur, mais elle a été détrônée par le sacre, et finalement donnée le 21 décembre. Nous nous sommes donc penchés sur les différentes éditions, parues entre 1804 et 1840, et avons vu que la partition avait été très largement interprétée, modifiée, subissant des ajouts et des coupes importantes. Elle a eu, en France, une vie formidable, tout à fait particulière, et a été jouée, en 1840, lorsque le corps de Napoléon est entré aux Invalides.


Chantal Santon Jeffery, Sandrine Piau, Julien Chauvin, Éléonore Pancrazi, Mathias Vidal et Thomas Dolié pendant l’enregistrement, à l’Arsenal de Metz, en février 2022. © Raoul Gilibert

Cette version, avec toutes ses modifications, vous a-t-elle fait diriger le Requiem autrement ? Et que nous apprend-elle sur le goût du public parisien de l’époque ?

Elle me permet presque de désacraliser l’œuvre, qui a été si souvent jouée et enregistrée. Nous avons ici un matériau neuf, qui n’a pas encore été exploité. Ce n’est donc pas comme si je prenais la version habituelle – si tant est qu’il y en ait une –, et que je décidais de la diriger avec des tempi très lents ou très rapides… Ma démarche n’est pas de rechercher l’originalité à tout prix, mais de me demander comment les Parisiens ont pu s’approprier cette pièce.  Cette version prouve que le public avait bon goût, car les morceaux conservés dans cette édition sont ceux intégralement écrits de la main de Mozart. Ce fut une surprise en ouvrant la partition : peut-être le savaient-ils, ou peut-être est-ce un hasard… Les nombreuses coupes sont également liées à l’époque, et au fait que Napoléon aimait que les célébrations aillent relativement vite – exception faite du sacre, qui a duré trois heures. Un requiem de soixante minutes pouvait sembler long !

La musique instrumentale est intimement liée au genre lyrique : sans les mots, c’est à nous de nous mettre dans un état d’écoute et de jeu qui rappelle l’expression théâtrale. Julien Chauvin

Que pourriez-vous dire aux auditeurs, pour les encourager à écouter cette partition inédite ?

Je voudrais leur dire d’être curieux. Il y a des œuvres du répertoire, comme le Requiem, Le Quattro stagioni de Vivaldi, ou encore des concertos de Tchaïkovski et de Mendelssohn, dont nous nous sommes nourris depuis notre enfance. Leurs interprétations rentrent alors dans notre cerveau, et nous y sommes très attachés. Dans cette version, au début du Tuba mirum, par exemple, tous les cuivres jouent, et le trombone est remplacé par le basson : cela va forcément en hérisser certains. Mais la vraie question est de savoir comment rester ouvert face à une telle œuvre ? En l’écoutant sans jugement, et en rendant aussi justice à cette version parisienne, sans prétendre vouloir faire du neuf.

Ce disque réunit deux œuvres aux atmosphères très différentes. De plus, la première est essentiellement chorale, tandis que la Messe pour le sacre de Napoléon laisse la part belle aux solistes. Comment avez-vous trouvé une continuité entre les deux, une inspiration commune ?

Tout d’abord, les deux œuvres sont liées par le personnage de Napoléon, et par leur création à quinze jours d’intervalle. De plus, la Messe pour le sacre de Napoléon possède des teintes très pastorales, elle commence de manière assez ingénue, et bien qu’elle comporte des morceaux de bravoure, notamment pour soprano, elle est vraiment dans l’apaisement et la sérénité. En contrepoint, nous avons le Requiem, mais l’introduction enregistrée dans cet album, composée par Niccolò Jommelli, est sublime, et permet d’entrer dans l’ouvrage d’une autre manière. C’est ce type de couleurs que nous avons voulu chercher.


Le Chœur de Chambre de Namur et Le Concert de la Loge sous la direction de Julien Chauvin, pendant l’enregistrement, à l’Arsenal de Metz, en février 2022. © Raoul Gilibert

Vous avez l’habitude, dans vos albums consacrés aux œuvres symphoniques et concertantes de Mozart, d’enregistrer une ouverture d’opéra. Pensez-vous que l’œuvre lyrique du compositeur nourrisse sa musique instrumentale, et qu’il y ait dans cette dernière une forme particulière de dramaturgie ?

La passion de Mozart était l’opéra. Je répète actuellement le Quatuor à cordes en ré mineur K.421, et la musique instrumentale est intimement liée au genre lyrique : sans les mots, c’est à nous de nous mettre dans un état d’écoute et de jeu qui rappelle l’expression théâtrale. Sinon, il me semble que l’on tombe dans une interprétation terre à terre. Notre prochain disque avec le Concert de la Loge proposera, en complément de la Symphonie n°39 et de la Symphonie concertante pour violon et alto, l’ouverture de Così fan tutte.

Propos recueillis par CLAIRE-MARIE CAUSSIN

À écouter :

Requiem de Wolfgang Amadeus Mozart et Messe pour le sacre de Napoléon de Giovanni Paisiello, avec le Chœur de Chambre de Namur, Le Concert de la Loge, Sandrine Piau et Chantal Santon Jeffery (sopranos), Éléonore Pancrazi (mezzo-soprano), Mathias Vidal (ténor) et Thomas Dolié (baryton), sous la direction de Julien Chauvin, CD Alpha 919.

À voir :

Mozart en majesté, avec Le Concert de la Loge, sous la direction de Julien Chauvin, à l’Auditorium du Louvre, le 19 avril 2023.

Mozart et Haydn, avec Éléonore Pancrazi (mezzo-soprano) et Le Concert de la Loge, sous la direction de Julien Chauvin, au Festival de Pâques de Deauville, le 30 avril 2023.

Simply Mozart, avec Amihai Grosz (alto), Chantal Santon Jeffery (soprano), et Le Concert de la Loge, sous la direction de Julien Chauvin, au Conservatoire de Puteaux, le 26 mai 2023.

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