Interview David Stern, vingt ans de feu et de transmissi...
Interview

David Stern, vingt ans de feu et de transmission lyrique

25/03/2024
David Stern. © Tom Watson

Vannina Santoni, Chantal Santon Jeffery, Adèle Charvet… Toutes ont, pour point commun, d’être passées par l’atelier lyrique d’Opera Fuoco. Et de se retrouver, le 9 avril, au Théâtre des Champs-Élysées, pour célébrer les 20 ans de l’ensemble fondé par le chef américain, qui dirigera, le 4 mai, ses plus jeunes talents, à l’Opéra de Massy, dans Hercules de Haendel, en version de concert.

Le concert du 9 avril marque le 20e anniversaire de votre ensemble, plutôt que de l’atelier lyrique, que vous avez lancé en 2008…

Il célèbre les vingt premières années d’Opera Fuoco, que j’ai fondé en 2003. Si j’ai voulu, dès le début, travailler avec de jeunes chanteurs, ce n’est qu’au bout de cinq ans d’existence, que j’ai trouvé une manière de le formaliser. Nous avons commencé avec Paul Agnew, et Danielle de Niese, qui avait alors 23 ans. Nous allions donc, déjà, dans cette direction. Et plus je le faisais, plus je me rendais compte que c’était là que j’avais le plus à donner, pour être moi-même, et pas simplement un ensemble de plus, jouant sur instruments d’époque.

Vous aviez participé, en 1998, à l’invitation de Stéphane Lissner, au lancement de l’Académie européenne de musique du Festival d’Aix-en-Provence. Ce goût de la transmission, de l’accompagnement des jeunes artistes, vous vient-il de votre père, le violoniste Isaac Stern ?

Je ne peux évidemment pas ignorer tout ce que mon père a fait dans ce domaine. En tant que famille, nous avons vécu sa carrière avec lui. C’est ainsi que j’ai pris conscience, non seulement de ce qu’est une grande carrière, mais aussi que, plus un musicien est grand, plus il est ouvert et généreux. J’ai vu, dans ma jeunesse, combien Pablo Casals, Leonard Bernstein, Mstislav Rostropovitch et mon père voulaient donner aux prochaines générations. C’était donc un réflexe, pour moi. Si j’ai commencé tôt, c’est parce que je me suis rendu compte que j’allais apprendre beaucoup, en essayant d’être une sorte de mentor pour les jeunes musiciens. J’y ai pris goût.

Comment l’atelier lyrique d’Opera Fuoco a-t-il trouvé sa place, face aux centres de formation d’institutions comme l’Opéra de Lyon, l’Opéra National du Rhin, ou le CNIPAL, à Marseille ?

Aucune de ces institutions n’accompagnait les jeunes artistes pendant trois ans, ni ne proposait une combinaison de répertoires, comme nous l’avons fait. Et surtout, nous leur laissons la liberté d’aller se produire ailleurs. C’est une autre philosophie. Aujourd’hui, de nombreux chanteurs viennent chez nous travailler pour des auditions, sans lien avec nos productions. C’est mon plaisir de les aider. Cette ouverture fait partie de nos différences. Nous sommes là pour conseiller ces jeunes artistes pendant trois ans, mais aussi après leur départ, sur la recherche d’un répertoire, d’un agent… Quand le ténor Marco Angioloni a créé son ensemble, Il Groviglio, il est venu nous voir pour savoir comment mettre en place sa structure. Nous sommes présents, le plus possible, avec nos humbles moyens, pour veiller sur tous ces aspects de leurs débuts de carrière.

Opera Fuoco a fait des petits : Fuoco Obbligato, mais aussi Fuoco Jazz…

On peut encore moins se cacher derrière sa voix dans la musique de Broadway qu’à l’opéra. Ceux qui ont participé à nos ateliers, alors qu’ils n’avaient aucune expérience dans ce domaine, ont vraiment appris quelque chose, qui s’est ensuite ressenti dans leur approche du répertoire lyrique. Comme son nom l’indique, Fuoco Obbligato, fondé en 2020, se concentre sur des airs avec instrument obligé, écrits au XVIIIe siècle. L’idée, qui est venue de Katharina Wolff, notre Konzertmeisterin, est de s’appuyer sur ce dialogue entre l’instrument et la voix, pour faire travailler les chanteurs autrement qu’avec un pianiste ou un chef d’orchestre. Nous revenons d’une tournée en Floride, où le public a été bluffé !

Le programme du concert du 9 avril, présenté dans le cadre des « Grandes Voix », avec Karine Deshayes pour marraine, va du baroque au XIXe siècle. Un témoignage de votre flexibilité d’approche…

Nous commençons avec la Sinfonia d’ouverture d’Arianna de Benedetto Marcello, que je rêve de pouvoir faire, un jour, sur scène. C’est un avant-goût éclatant et très opératique, pour débuter la soirée. Et l’on va jusqu’à Rossini et Bellini. Il serait difficile d’aller au-delà, sans changer constamment d’instrument… Si je n’avais pas créé Opera Fuoco, le monde de l’opéra aurait continué à tourner. Mais, dès lors que nous sommes uniques, nous avons un rôle à jouer. Et je dois toujours me demander pourquoi je déploie ces efforts, pour faire quelque chose qui n’est pas forcément nécessaire. Ces jeunes chanteurs, quand ils sont avec nous, se développent d’une certaine manière. Et ils disent tous la même chose : nous leur avons apporté la confiance. Si nous y sommes parvenus, dans ce monde si dur, alors je suis heureux ! Montrer, le temps d’une soirée, les voix que nous avons aidé à former, ces quinze dernières années, permet, à la fois, de se retourner vers le passé et d’envisager ce que nous pouvons faire à l’avenir.

Pourriez-vous citer un moment particulièrement marquant, au cours de ces vingt premières années d’Opera Fuoco ?

Quand Reri Grist a fait sa deuxième master class avec nous, en 2022, à la fin, elle a regardé tous les chanteurs, et leur a dit : « J’ai 90 ans, je vais bientôt mourir, mais la musique m’a sauvée et m’a guidée toute ma vie. J’espère que vous aurez la même expérience que moi. » Il n’y a rien à ajouter !

Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI

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