Interview Ailyn Pérez, diva de l’Amazone au Met et...
Interview

Ailyn Pérez, diva de l’Amazone au Met et dans les cinémas

28/11/2023
© Chris Singer

Qui mieux que la soprano américaine pouvait incarner la protagoniste de Florencia en el Amazonas de Daniel Catan (1949-2011), pour son entrée au répertoire du Metropolitan Opera de New York ? La nouvelle production, signée par Mary Zimmerman et dirigée par Yannick Nézet-Séguin, sera retransmise, en direct et en haute définition, par Pathé Live dans les salles françaises, le 9 décembre.

Florencia en el Amazonas (Houston, 1996), œuvre d’un compositeur mexicain, sur un thème brésilien, dans une production américaine, est, comme vous, au croisement des cultures…

Je me reconnais beaucoup, en tant que femme, dans le rôle de Florencia Grimaldi. Elle a quitté sa terre natale pour faire carrière à l’opéra. Son aventure demande beaucoup de courage, d’engagement et d’ambition. Aujourd’hui, les nouvelles générations hispaniques se qualifient de moins en moins comme telles. Chacun va donc expérimenter son propre voyage à partir de la partition de Daniel Catan, compositeur latino-américain aux racines diverses. Beaucoup de gens ont pu travailler directement avec lui, et c’est une chance que sa femme reste disponible pour partager, avec nous, les intentions de ses œuvres.

Comment l’attraction pour la nature et le réalisme magique – des thèmes très latino-américains – se traduisent-ils dans la musique ?

Selon moi, le réalisme magique, dans la culture latino-américaine, est une explication qui surpasse l’imagination, et donne un sens au destin, souvent dans la relation avec les morts ou avec Dieu. Dans Florencia en el Amazonas, il révèle les personnages. Riolobo définit, d’emblée, la cantatrice Florencia Grimaldi en « femme mystère ». Même si tous la connaissent au théâtre, certains ne la reconnaissent pas dans la vraie vie. Elle va et vient, c’est sa façon d’être présente. Daniel Catan fait entendre, dans toute l’œuvre, cette présence modulable, comme celle de la nature et des oiseaux, dans les textures orchestrales. L’ambiguïté sur l’identité de Florencia – la diva, la femme, l’esprit – nous révèle nous, public. L’art nous ouvre à un autre monde et à une autre langue, et modifie le temps.


Florencia Grimaldi  dans Florencia en el Amazonas, au ­Metropolitan Opera de New York. © Met Opera/Ken Howard

De quelle manière la musique de Daniel Catan joue-t-elle avec le temps ?

Le compositeur s’approche d’une structure en leitmotive, comme chez Wagner, mais écrit dans son propre langage. Il crée des couleurs harmoniques, qui jouent avec des accords augmentés de neuvième et de sixte. La musique se ressent littéralement, elle traverse les sentiments des personnages, leurs souvenirs et leurs désirs futurs. Par exemple, Arcadio aspire à devenir pilote, et on entend son amertume de ne pas pouvoir réaliser son rêve. Au contraire de Cio-Cio San (Madama Butterfly), qui n’ose pas parler d’amour à Pinkerton « de peur de devoir en mourir », Florencia reconnaît avoir fait l’erreur de sacrifier l’amour qu’elle a vécu. Il arrive, selon elle, quand il doit arriver ; il faut accomplir le pouvoir de s’aimer ou de se laisser aimer, tel un rouage du destin.

La retransmission de la nouvelle production du Met, en direct et en haute définition, dans le monde entier, sert-elle, aussi, à montrer que l’opéra n’est pas seulement un art européen ?

La metteuse en scène, Mary Zimmerman, est allée au Mexique pour étudier les costumes traditionnels. J’ai été immédiatement émue, en voyant les motifs et les tissus utilisés dans la production : ils ressemblaient aux vêtements que ma grand-mère dessinait et confectionnait. C’est un triomphe pour l’Amérique latine ! Le coup de projecteur sur Florencia en el Amazonas permet, aussi, de défendre les compositeurs contemporains. On ne peut jamais prévoir le succès d’une œuvre, après sa création. L’opéra peut ainsi vivre, et survivre avec les nouvelles générations. J’espère que le public du Met et des cinémas pourra éprouver ce que j’ai ressenti à ces deux niveaux.

Vous chantez des rôles lyriques et dramatiques. Comment voyez-vous l’évolution de votre carrière ?

J’ai, récemment, fait mes débuts en Elisabetta (Don Carlo) et Cio-Cio-San. Une prise de rôle est toujours un honneur, mais cela me fait encore un peu peur ! Je n’ai suffisamment confiance qu’au moment où je me lance vraiment. Je doute toujours, au fond de moi, tant que je n’y suis pas parvenue. Ce que Blanche de la Force (Dialogues des Carmélites) m’a appris, c’est qu’il faut avancer avec sa peur… Je changerai peut-être, mais c’est dans ma nature, même si je reçois des retours très positifs. Il n’est pas, non plus, question que de moi. Il faut s’appuyer sur la maison d’opéra, le chef, le metteur en scène, et les collègues, tous très importants. Aucun chanteur ne possède tous les savoirs, pour résister seul au stress d’une représentation ou au volume de l’orchestre.

Propos recueillis par THIBAULT VICQ

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