Des panaches démesurés des castrats aux casques de Walkyries, en passant par les postiches et perruques plus ou moins poudrées, il était rare, autrefois, que les artistes lyriques entrassent en scène tête nue. Aujourd’hui encore, malgré la banalisation propre aux esthétiques contemporaines, une certaine extravagance continue de s’exprimer, dans ce domaine. À la ville, en revanche, quelques irréductibles adeptes du couvre-chef exceptés, l’usage de ne pas sortir « en cheveux » s’est perdu. Bibis, casquettes, toques, et bien d’autres encores, les légendes du chant, féminines autant que masculines, ont longtemps rivalisé d’élégance, et de coquetterie dans le choix de leurs chapeaux. Accesoires de mode, ou simplement utilitaires, pour protéger du froid le sommet de leurs précieux résonateurs, Opéra Magazine a déniché quelques pépites, glamoureuses et vintage.
L’une dans l’opéra italien, l’autre dans les ouvrages de Mozart et de Richard Strauss, surtout, Maria Callas (1923-1977) et Elisabeth Schwarzkopf (1915-2006) furent, sous la férule du producteur – et époux de la seconde – Walter Legge, les piliers du label EMI, dans les années 1950 et 1960. Amies, leurs répertoires distincts écartant le risque d’une rivalité – même si deux projets de Requiem de Verdi, où la diva gréco-américaine s’était vu proposer la partie de mezzo, se soldèrent par son refus sans appel –, les deux sopranos ne partagèrent les micros qu’une seule fois, lors de l’enregistrement de studio de Turandot, réalisé, en juillet 1957, au Teatro alla Scala de Milan. Elles sont, ici, photographiées, à Londres, le 16 février 1959, dans toute la splendeur de leurs fourrures, l’une arborant un bibi noir, l’autre, une toque immaculée. Comme un reflet de leurs timbres immédiatement reconnaissables.
Sopranos favorites de Richard Strauss, Maria Jeritza (1887-1982) et Lotte Lehmann (1888-1976) furent rivales, assurément. Au Hofoper (aujourd’hui Staatsoper) de Vienne, surtout, où elles partagèrent certains rôles, comme Tosca, et parfois même la scène, la première en Primadonna et la seconde en Compositeur, au Prologue de la version révisée d’Ariadne auf Naxos, dévoilée le 4 octobre 1916, puis, respectivement, en Impératrice et en Teinturière, lors de la création, le 10 octobre 1919, de Die Frau ohne Schatten, ou encore un an plus tard, à distance, cette fois, l’une en Giorgetta d’Il tabarro, l’autre en Suor Angelica. Ces deux portraits témoignent de leurs personnalités dissemblables. Diva jusqu’au bout des ongles, exigeant des cachets faramineux, Maria Jeritza pose, au milieu des fleurs, dans sa suite de l’Hôtel Adlon, à Berlin, arborant une capeline noire, empanachée de blanc.
Le regard infiniment plus doux, Lotte Lehmann porte, elle aussi, une capeline, mais sans la moindre ostentation. De là à voir en elle « le prototype de la brave bourgeoise », ainsi que la qualifia Hugo von Hofmannsthal, dans une lettre à Richard Strauss, alors que le poète et le compositeur débattait de l’interprète la mieux à même de créer le rôle-titre de Die ägyptische Helena – les prétentions de Maria Jeritza, toujours elle, excédant les moyens du Semperoper de Dresde…
Comme est émouvante cette photographie réunissant, bras dessus, bras dessous, un compositeur et son interprète. En l’occurrence Giuseppe Verdi (1813-1901), au feutre négligeamment cabossé, et Francesco Tamagno (1850-1905), créateur, le 5 février 1887, à la Scala, du rôle-titre d’Otello, taillé à ses larges et sombres mesures. Sa mine réjouie, à l’ombre d’un canotier, contraste avec le regard songeur du vieux maître – conscient des qualités, mais aussi des défauts du ténor italien, dont il avait précédemment testé les ressources en Gabriele Adorno, dans la révision révisée de Simon Boccanegra (1881), et en Infant éponyme de la version en quatre actes, dite « de Milan », de Don Carlo (1884).
Symbole de respectabilité, dans l’Angleterre du début du siècle dernier, également adopté, aux États-Unis, par des hors-la-loi aussi notables que Butch Cassidy et Billy the Kid, et, par ailleurs, indissociable de Charlot, le personnage de vagabond incarné, à l’écran, par Charlie Chaplin, de 1914 à 1936, le chapeau melon sied aux ténors. Ainsi d’Enrico Caruso (1873-1921), dont la carrière battit son plein, entre l’Europe et le Metropolitan Opera de New York, où il fit ses débuts en 1903, jusqu’à ce qu’il se fixe en Amérique, après le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Toujours entre deux tournées, il est, ici, comme fréquemment, photographié sur un bateau.
Venu au monde quelques mois avant la disparition de son glorieux aîné, Franco Corelli (1921-2003) avait tout pour lui, sur le plan vocal autant que physique. Outre ses écarts de style, qui lui furent plus sévèrement reprochés qu’à d’autres, moins bien dotés par la nature, il souffrait d’un trac paralysant. Ce portrait de 1964, où il évoque John Steed, le héros de la série Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers), incarné par Patrick Macnee, révèle, d’ailleurs, cette part plus ténébreuse et introvertie de sa personnalité.
La rayonnante Christiane Eda-Pierre (1932-2020) fut l’une des sopranos françaises les plus remarquables de sa génération. Elle prouve, sur ce cliché de 1981 (ci-dessous), d’un naturel attachant, que le chapeau melon se décline, aussi, au féminin.
Elles furent, successivement, sur une période couvrant plus de la moitié du XXe siècle, les deux divas françaises du Metropolitan Opera de New York. Lily Pons (1898-1976), naturalisée américaine en 1940, y fait ses débuts, le 3 janvier 1931, en Lucia di Lammermoor, et ses adieux scéniques, dans le même rôle, le 12 avril 1958, avant une ultime – et trois centième – apparition, lors d’une soirée de gala, le 14 décembre 1960, où elle interprète « Caro nome » de Rigoletto, l’un des dix ouvrages dans lesquels son registre de soprano léger brilla inlassablement.
D’abord invitée, à partir de 1962, dans les répertoires allemand – la Maréchale (Der Rosenkavalier), Elsa (Lohengrin), Kundry (Parsifal), etc. – et italien – Tosca, surtout –, Régine Crespin (1927-2007) y chante, exclusivement, à compter de 1971, des héroïnes d’opéras français, dont Carmen et Charlotte (Werther) , jusqu’à une trentième et dernière Madame de Croissy, dans Dialogues des Carmélites, en 1987. À plus ou moins un quart de siècle d’intervalle, les deux cantatrices portent la voilette, accessoire prisé des stars de l’écran, qui parachève le look de ces incarnations du chic à la française. Sur cette photographie, prise le 4 avril 1953 (1), Lily Pons s’apprête à embarquer sur le Queen Elizabeth, pour aller chanter au couronnement d’Elizabeth II. Posant, ici (ci-dessus), avec une moue dédaigneuse – ou narquoise ? –, Régine Crespin avait une passion pour les bibis, feutres, chapeaux de paille et autres turbans, qu’elle arborait en toutes circonstances.
Stars du Met, encore, mais d’abord deux des plus fascinantes voix afro-américaines du XXe siècle, Leontyne Price (née en 1927), dernière légende vivante d’un certain âge d’or du chant verdien, et Jessye Norman (1945-2019) contenaient, souvent, les débordements de chevelures opulentes dans des turbans, qui soulignaient, tout particulièrement, l’aura chamanique de la seconde. Photographiée le 25 avril 2024, lors du déjeuner de la Guilde du Metropolitan Opera, l’aînée a assorti le sien à sa robe.
Quant à sa cadette, particulièrement active en studio, à la glorieuse époque du label Philips, elle a été saisie dans la concentration d’une séance d’enregistrement, au début des années 1980.
Plus que le chapeau melon, la casquette compte parmi les couvre-chefs les plus appréciés des ténors. Lauritz Melchior (1890-1973) fut le Heldentenor de sa génération, et même bien au-delà, tant tous ceux qui ont tenté de lui succéder ont été jugés à l’aune de ses moyens considérables. Dans un répertoire diamétralement opposé, Luciano Pavarotti (1935-2007) acquit, au-delà d’une popularité dépassement largement les frontières de l’art lyrique, un statut semblable, archétype du ténor italien, dans le sillage duquel se sont épuisés la plupart de ses héritiers putatifs.
Accaparé par le Met, ou il était présent depuis 1926, bien avant de donner ses dernières représentations d’opéra, en Europe, en 1939, le Danois, qui deviendra citoyen américain, en 1947, pose (1), comme, avant lui, Caruso, sur le pont d’un bateau. C’est à Moscou, en 1990, qu’a été prise la photographie (ci-dessus) du tenorissimo. En plus de la casquette, pour laquelle il avait, semble-t-il, une prédilection, il porte un de ces foulards, pour la plupart immenses, qui parachevaient son silhouette inimitable.
Si elle n’est pas l’apanage des artistes venus du froid, il faut bien admettre, à la vue de ces portraits de Fiodor Chaliapine (1873-1938), né à Kazan, où la température, aujourd’hui encore, ne s’élève pas au-dessus de – 5°, tout l’hiver durant, et de Karina Gauvin (née en 1966), qu’ils portent la toque de fourrure avec beaucoup de naturel. Cette photographie de la légendaire basse russe a été prise en 1923, peu après son départ définitif de son pays natal, et son installation à Paris.
Passionnée de chapeaux depuis toujours, la soprano canadienne porte une création de Patricia Benhaim, dont elle avait acheté un premier modèle, alors qu’elle se produisait à Ottawa, avant de faire sa connaissance, sur le Salon des Métiers d’Art du Québec, à Montréal. Fourrures chinées, recyclées, agrémentées de rubans, pour des pièces uniques, et magiques, que cette « dame anglaise, à l’aura de chaman, installée à Montréal depuis une quarantaine d’années », confectionne en écoutant, parfois, des enregistrements de l’une des plus grandes haendéliennes des vingt dernières années.
Un couple peut devenir mythique, sans, nécessairement, jouer la carte du glamour. Celui qu’ont formé Mirella Freni (1935-2020) et Nicolaï Ghiaurov (1929-2004), mariés, l’une et l’autre en secondes noces, de 1978 à la disparition de la basse bulgare, en est la preuve. Le cliché, pris en 1992, dans une loge du Teatro Carlo Felice de Gênes, où les deux artistes devaient probablement se produire ensemble – comme ce fut si souvent le cas, jusque dans la dernière partie de leurs carrières respectives, dans Eugène Onéguine, surtout –, apparaît tout sauf improvisé : face à un miroir, dans lequel ils se reflètent tous les deux, Monsieur pose délicatement un chapeau haut-de-forme sur la tête de Madame. Il se dégage de cet instant, assez minutieusement composé pour donner l’illusion de l’intimité, une tendresse et une spontanéité qui vont droit au cœur.
Des éclats de rire communicatifs, qu’elle était incapable de réfréner, y comris dans l’intense concentration d’une répétition du « Libera me » du Requiem de Verdi, sous la direction de Claudio Abbado – on ne se lasse pas de la vidéo, filmée à la basilique San Marco de Venise, en 1985 – ; une autodérision légendaire, dont témoignent une myriade d’anecdotes, sans doute plus ou moins authentiques, sur sa Tosca quittant le plateau en marchant, sans se presser, plutôt que de se jeter dans le vide, sur les matelas prévus à cet effet, ou poignardant Scarpia du seul regard ; Montserrat Caballé (1933-2018) avait le chef suffisamment couvert par son immuable brushing, probablement fixé par des bourrasques de laque, pour ne pas y superposer de chapeau. Sauf en certaines occasions, censément solennelles. Ainsi de la remise, le 28 septembre 1999, d’un diplôme honorifique, par Justo Nieto Nieto, recteur de l’Université Polytechnique de Valence. Qu’on nous pardonne de souligner, en conclusion de ce portfolio, le comique involontaire de cette calotte à franges immaculée !