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Costume : et si la véritable star, c’était moi ?

28/06/2022
Jean-Bernard Scotto et robe Platée © Eléna Bauer/ONP
© Eléna Bauer/ONP

À l’Opéra Bastille, le costume de scène peut légitimement se poser la question, vu l’attention minutieuse qui lui est accordée. Il est si bien façonné et bichonné, qu’il prend vie, corps et,  de fil en aiguille, se fait l’incarnation du personnage.

Aujourd’hui, dans ce temple de la création, le maître-mot est  : chassé-croisé. Les costumes d’une production laissent place à ceux d’une nouvelle. Un havre de zénitude, baigné de lumière, où s’affairent trente-trois personnes. Vingt-sept femmes et six hommes, répartis en deux univers distincts : l’atelier tailleur pour les costumes masculins et l’atelier flou pour les vêtements de femmes. Dans le premier, on confectionne à plat sur une table et, dans le second, on élabore les costumes sur des mannequins aux mensurations des artistes. « Ici, tout démarre avec un dessin donné par le costumier ou la costumière. Suivent les patrons et les essais avec des tissus qui ne seront pas les définitifs, puis vient le moment de réaliser le costume dans la taille requise, explique Jean-Bernard Scotto, chef du service couture. Beaucoup de tissus sont piqués à la main, en raison des exigences techniques et aussi parce que le cousu main se défait plus facilement. »


Dans les ateliers de l’Opéra Bastille …

Faire et défaire, le refrain est récurrent pour ces as du point. Il y a les costumes qu’ils réadaptent d’une production à l’autre, mais aussi ceux qu’ils rajustent lors des premiers essayages, du fait des mesures parfois erronées transmises par les théâtres internationaux pour des solistes qui n’arrivent qu’au moment des répétitions. Il n’est pas rare non plus qu’un chanteur revienne après une période de repos festif ou, à l’inverse, de vacances sportives. L’urgence est un mot qui fait partie du cahier des charges de l’atelier. C’est pour cela que quarante couturiers ou couturières viennent prêter main-forte très régulièrement à l’équipe en place. Ici, les petites astuces sont légion. Pour pallier les éventuels écarts de nos solistes préférés, au lieu de laisser un centimètre de réserve comme dans le commerce, l’atelier en laisse cinq pour pouvoir aisément gagner deux tailles. Les doublures se démontent, les coupes comportent des soufflets afin de faciliter le mouvement, les jupons à tirettes sont extensibles et il ne faut jamais être avare en dessous-­de-bras, ces pièces de tissu glissées sous les habits pour absorber la transpiration.

Cette saison, l’équipe va s’affairer sur huit créations et quatorze reprises. Ce qui représente à peu près trois mille silhouettes sur lesquelles travailler. Le budget costume d’un opéra varie de 10 000 € pour une mise en scène conceptuelle à 450 000 € pour des créations féeriques. Près des deux tiers du coût sont consacrés à la main-d’œuvre. « Si, auparavant, on passait quatre semaines à plusieurs sur un costume très élaboré, aujourd’hui, on travaillera deux semaines dessus. Ce n’est pas forcément lié à une réalité économique, mais plutôt à une réalité esthétique. Les créateurs actuels sont loin de la folie artistique de Zeffirelli, de l’exigence de Noureev ou du Carmen avec les créations de Franca Squarciapino », nous confie Jean-Bernard Scotto.

Des maquettes et beaucoup d’envies

Ainsi, aujourd’hui, le coût de la création d’un costume varie de 400 à 1 000 € pour un habit contemporain et de 2 500 à 3 000 € pour une tenue historique. « Notre métier, reprend le chef du service couture, c’est la préservation des savoir-faire traditionnels, la transmission, mais nous devons aussi initier les savoir faire du futur. En ce moment, je suis intéressé par les logiciels 3D qui permettent de simuler un essayage avec le tombé du tissu, ou encore par l’utilisation de ce nouveau tissu japonais, très solide, qui est le plus léger du monde car il ne dépasse pas les cinq grammes par mètre carré, ce qui est très important pour répondre aux demandes des créateurs les plus inventifs. 


Moses und Aron à l’Opéra de Paris en 2015 dans la mise en scène de Romeo Castellucci. © Silvia Costa/ONP

Pour Moses und Aron de Schoenberg, en 2015, le metteur en scène Romeo Castellucci voulait que les choristes entrent avec leurs costumes blancs dans une piscine installée sur scène et qu’ils en ressortent avec un costume noir. Nous avons pu répondre à ce souhait grâce à un fil qui se dissout dans l’eau. C’est un fil utilisé habituellement pour des supports très fins, comme la broderie. Donc nous avons cousu un costume blanc sur un costume noir et deux plongeurs de la Ville de Paris, cachés dans le fond de la piscine, récupéraient les morceaux de tissu blanc qui tombaient. »


Julie Fuchs porte la célèbre robe-partition de la Folie dans Platée, mis en scène par Laurent Pelly  © Agathe Poupeney/ONP

De même, pour Platée de Rameau, toujours en 2015, Laurent Pelly – qui signait à la fois la mise en scène et les costumes – était arrivé avec des maquettes et beaucoup d’envies oniriques, dont la fameuse robe-partition pour le personnage de la Folie. Il l’avait imaginée en pensant à des gravures de la fin du XVIIe siècle, Les Costumes grotesques et les Métiers de Nicolas de Larmessin, des planches qui montrent des personnages revêtus des attributs, ustensiles ou outils caractéristiques de leur profession. « Pour donner vie à la Folie, nous avons d’abord imprimé la partition originale de Platée sur du papier journal vierge. Puis nous l’avons rigidifiée par thermocollage. Pour que le costume « danse » pendant la représentation, qu’il soit mouvant, nous avons pris le parti de ne pas coudre uniformément la partition sur la robe, de façon à laisser des volants qui apporteraient du relief et du mouvement. Et pour que le personnage puisse interagir avec le chef d’orchestre et les musiciens en arrachant des morceaux de partition pour les distribuer dans la fosse, nous avons créé des parties amovibles, détachables. »

De quoi prouver que le département couture de l’Opéra Bastille est un pays où l’imagination ne connaît aucune limite et que le savoir-faire de ses orfèvres du fil et de l’aiguille n’a d’égal que celui des grandes maisons de haute couture. Grâce à ces deux talents combinés, le costume – cet acteur majeur de l’expression lyrique qui occupe sans relâche le devant de la scène – contribue à colorer de mille feux le voyage onirique que nous offre l’opéra. Et mérite, lui aussi, amplement, qu’on lui reconnaisse son statut de star.

DAVID ARTUR

Derrière les rideaux :

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