Actualités Virginia Zeani 1925-2023
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Virginia Zeani 1925-2023

27/04/2023
© THE METROPOLITAN OPERA ARCHIVES

Le 20 mars dernier, la soprano roumaine s’est éteinte, à l’âge de 97 ans. Artiste totalement atypique, adulée par certains à l’égal de Maria Callas, Renata Tebaldi ou Leontyne Price, ses contemporaines, mais ignorée par beaucoup, Virginia Zeani a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de l’opéra au XXe siècle. Par ses exceptionnels dons vocaux et dramatiques, comme par le rôle qu’elle a joué dans la défense de raretés de Donizetti (Maria di Rohan), Mercadante (Elisa e Claudio) ou Verdi (Alzira). Sans oublier sa contribution à la création d’œuvres nouvelles, Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc, en tête.


Blanche de la Force dans Dialogues des Carmélites. © DR

On réduit trop souvent Virginia Zeani, cantatrice hors norme, élève de la soprano russe Lydia Lipkowska, notable Violetta Valéry, et du célèbre ténor italien Aureliano Pertile, au rappel des quelque six cent cinquante représentations de La traviata qui établirent sa renommée, à partir de 1948. Cette artiste au physique de star, dotée d’appas vocaux incandescents, aura pourtant épousé une quarantaine d’emplois, depuis Verdi et ses modèles romantiques jusqu’à la « Jeune École » italienne, via Glinka et ses pairs, Haendel, Massenet, Wagner ou Gian Carlo Menotti.

Totalement investie dans sa carrière scénique, cette surdouée aura, sans doute, négligé de démarcher les maisons de disques, qui l’ignorèrent souvent de manière coupable. Et les gazettes n’ayant jamais eu l’occasion de rapporter les anecdotes croustillantes ou les annulations malencontreuses, dont elles sont friandes, la fière Virginia pouvait assurer : « Ceux qui aiment la musique me connaissent. » C’était, assurément, le cas des privilégiés ayant assisté aux performances dont témoignent de nombreuses captations sur le vif, pour la plupart inaccessibles aujourd’hui, hélas.

Parmi les trop rares disques de studio permettant de cerner la radiance de ce timbre si particulier et les émois qu’il dispensait généreusement, on recherchera, en priorité, l’Operatic Recital, gravé pour Decca, en 1956, à Florence. Confié au maestrissime Gianandrea Gavazzeni, il offre une pléiade de standards italiens, pimentés d’accents sui generis inimitables et parfois hors sol. Donizetti et, plus encore, Bellini, parés desdits accents expressifs, sont servis avec trilles, picchettati, variations et suprêmes ­diminuendi.

À son zénith, cette voix polymorphe marie puissance et subtilité, ingénuité et tempérament, du do grave au contre-mi bémol. Elvira (I puritani), choisie par Tullio Serafin pour remplacer Maria Callas, sa cadette de deux ans, à Florence, en 1952, possède, dans sa scène de folie, toutes les vertus propres à magnifier, ensuite, les élans d’Amina (La sonnambula) dans sa cavatine finale, en dépit de quelques joliesses discutables. Le tempérament de braise, dont on ne cessera de créditer Virginia Zeani, ne l’incitera point, néanmoins, à braver les mises en garde de Bellini à l’endroit de l’imprudente Giulia Grisi, au sujet de sa périlleuse Norma, hier néfaste à Giuditta Pasta et qu’elle abandonnera à Maria Callas.

Violetta Valéry rayonne plus encore de cet éclat, dont la cantatrice éblouira les amateurs les plus exigeants. Verdi souhaitait qu’un soprano di tutta forza, colorature brillante et tempérament d’exception, incarnât ses espoirs et ses déchirements… Il est servi, ici, au-delà même de ses exigences. Dévalant les piqués/liés de son air du I d’une voix corsée, mordante (un rien vériste, diront certains esprits grincheux ?), cette torche vivante bouleverse en exhalant ses souffrances du III. L’intégrale dirigée ultérieurement par Jean Bobescu, pour Electrecord, magnifiera les promesses de ces extraits.

Dans Puccini Arias, deuxième et dernier album gravé pour Decca, en 1958, à Rome, sous la baguette de Franco Patanè (le père du plus célèbre Giuseppe), Virginia Zeani sert, avec une égale générosité, Cio-Cio-San (Madama Butterfly), Mimi (La Bohème), Floria Tosca (Tosca), Manon Lescaut, toutes bouleversantes de vérité sans fard, exemptes de surlignages expressifs, même si la tentation peut à l’occasion affleurer. Liù est, bien sûr, présente, mais Turandot est prudemment évitée, comme elle le sera toujours à la scène – nouvelle preuve que la cantatrice connaissait ses limites.

Les années 1960-1970 verront la soprano s’éloigner de l’agilité fleurie, au bénéfice de tessitures plus centrales et de l’intensité exigée, notamment, par le Verdi d’Aida et Don Carlo. Le cœur battant de l’actrice lyrique, ô combien prégnante, la désignait pour sublimer la déréliction d’Adriana Lecouvreur, déclinée du grave à l’aigu, en mille irisations. Plus irrésistible, encore, sa Fedora : la rage de vivre et d’aimer qui anime cette créature vindicative, jusqu’au suicide final, se traduit en fulgurances aiguës, pondérées par la fluidité du chant sur le souffle.

La France, qui a accueilli, à moult reprises, l’étonnante diva (Paris, Avignon, Bordeaux, Lyon, Marseille, Strasbourg, Toulouse…), lui aura notamment offert, s’agissant de son répertoire, une Charlotte préservée, entre les bras du Werther d’Alfredo Kraus, des noirceurs de tant de Dalila reconverties, et surtout ­nonobstant la version italienne (Living Stage). Leur excitante Manon de 1964 a, également, été publiée (Hardy Classic).

Le CD Una lezione di canto (Bongiovanni), master class dudit ténorissime Alfredo, au Teatro Brancaccio de Rome, en 1990, permet de retrouver, le temps d’un extrait légendaire de ces soirées de 1964, proposé en bonus, la créature conçue par l’abbé Prévost, manière de bis d’une carrière théâtrale de trente-cinq années, qui s’était achevée en 1982. Cette bouleversante Manon, réunissant deux étoiles de notre ciel lyrique, est en soi le plus bel hommage que l’on puisse rendre à l’incomparable Virginia Zeani.

JEAN CABOURG