Pour fêter les 30 ans de l’ensemble Les Talens Lyriques, dont il est le fondateur, Christophe Rousset a composé, avec Sandrine Piau, un programme, intitulé Cantates arcadiennes, de Rome à Paris,qui charme par l’équilibre, l’ingéniosité, l’élégance. Il dirige de son clavecin les instrumentistes à cordes, offrant à la soprano l’occasion de donner une leçon de musicalité, dénuée de pédantisme formel.
Le cadre glorieux du parvis de la Basilique Saint-Michel-Archange permet de s’interroger sur la signification du terme « baroque ». Elle ne se borne pas à la chronologie. Un lien subtil unirait-il Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), Jean-Marie Leclair (1697-1764), Domenico Scarlatti (1685-1757) et Georg Friedrich Haendel (1685-1759) ? La formation Les Talens Lyriques tient son nom du sous-titre d’un « opéra-ballet » de Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé (Paris, 1739), mais ce soir, c’est l’italianité qui se réfracte et irise le concert, en plein accord avec le lieu, tandis que l’ocre de la façade se dore lentement.
Français, basse de violon à l’Académie Royale de Musique et ami de Couperin, Montéclair compose en italien la cantate Morte di Lucretia. Sandrine Piau et Christophe Rousset alternent, au gré des multiples da capo, mouvements lents et rapides sans rien surligner.
Les extraits généreux de la Deuxième Récréation de Leclair ne laissent pas entrevoir le destin tragique de ce maître, surnommé « le Vivaldi français » : il fut retrouvé assassiné devant son domicile parisien (enquête non encore élucidée). On admire l’élégance des cordes dans la parfaite cohésion.
Sandrine Piau délivre une interprétation libre de toute recherche d’effets dans la cantate Tinte a note di sangue de Scarlatti. Le mouvement rapide (mais non précipité) montre que le grand art consiste toujours à équilibrer les vocalises staccato sans les segmenter ; elles appartiennent ainsi à un plan d’ensemble évidemment legato, qui n’est autre que le chant dans sa majesté.
Après l’entracte, Haendel règne sans partage : la Sonate en sol majeur op. 5, n° 4, où se mêlent robustesse et fantaisie ; et la cantate Notte placida e cheta, confondante de simplicité, car l’ornementation ne s’y exerce pas au détriment de la ligne.
Deux bis illustres, extraits de Giulio Cesare et d’Alcina, prolongent l’hommage au maître de l’opéra. La conduite du souffle, l’homogénéité de la voix sur toute l’étendue, la virtuosité, les accents dignes de l’Arioste font merveille dans ce concert, où la soprano et le chef claveciniste français scellent une entente parfaite.
Le public de cette 73e édition du Festival de Menton succombe à tant d’enchantements.
PATRICE HENRIOT