Aula Magna, Università Cattolica, 14 juin
Une voix et quelques instruments – clavecin, flûte, guitare, harpe, théorbe, violoncelle – suffisent parfois à ouvrir des perspectives musicales inoubliables. Cette alliance épurée du chant et des cordes, pincées ou frottées, évoque les origines de l’opéra, et plus largement celles de la vocalité. Alternant pièces vocales et instrumentales, le programme proposé par Roberta Mameli et Andrés Locatelli, directeur de l’ensemble Theatro dei Cervelli, enchante par son équilibre subtil et son intensité. En invoquant la figure d’Ariane – héroïne d’un opéra de Monteverdi aujourd’hui perdu – la soprano italienne et les instrumentistes brillent par la finesse de leur rhétorique musicale et la précision de leur geste dramatique.
Le récital s’ouvre sur le bref Lamento d’Arianna, seul fragment conservé de l’œuvre disparue. Ce chant douloureux, véritable opéra miniature, installe une atmosphère de déploration fervente où la musique épouse le mot dans sa chair. Rien de systématique pourtant : les motifs ne sont jamais ornementaux, mais s’intègrent au tissu expressif comme autant de gestes modelés par les colorations de la voix. Celle de Roberta Mameli irradie par sa capacité à incarner chaque nuance avec imagination. Portée par une expressivité remarquable, elle déploie un timbre aux mille facettes – chatoyant, virtuose, sensuel ou cristallin selon les instants. La richesse de son médium, alliée à la limpidité des aigus, lui permet d’explorer une vaste palette d’inflexions, condition sine qua non pour servir ce répertoire.
Le programme, exigeant vocalement, démontre combien le timbre doit être à la fois souple et nourri, capable non seulement de porter le texte mais d’en ciseler chaque mot. Car si les « cantate da camera » inscrites à ce récital – Potesti i lini sciogliere de Luigi Rossi, Abbattuto dal duolo de Marco Marazzoli, et deux autres d’auteurs anonymes – offrent de splendides élans lyriques, elles exigent avant tout un art rigoureux de la déclamation. Véritables microdrames portés par la force du verbe, ces pages prennent vie dans un lyrisme tendu, qui doit être intensément habité dès la première note. Les intermèdes instrumentaux – Toccata per la levatione de Frescobaldi, Ciaccona per flauto e basso continuo de Domenico Mazzocchi, Marizápalos de Gaspar Sanz – offrent des respirations bienvenues, comme autant de contrepoints de douceur, d’instants d’apaisement. La musicalité lumineuse des cinq solistes du Theatro dei Cervelli, soudés dans une même écoute, exalte avec une grâce ineffable la richesse de ces pièces aux atmosphères contrastées. Une heure trente envoûtante.
CYRIL MAZIN