Rachel Willis-Sørensen : Strauss, Four Last Songs (+ Capriccio : Final Scene)

1 CD Sony Classical 19439921722

Après Rachel, premier récital au programme fort éclectique, couronné d’un Diamant d’Opéra Magazine (voir O. M. n° 181 p. 78 d’avril 2022), Rachel Willis-Sørensen revient, toujours chez Sony Classical, avec un album entièrement dédié à Richard Strauss.

Les Vier letzte Lieder et la scène finale de Capriccio, voilà un couplage particulièrement classique – le même que celui de la légendaire gravure de 1953, par Elisabeth Schwarzkopf et Otto Ackermann (EMI/Warner Classics). Le minutage restreint (quarante-cinq minutes) s’explique par le fait qu’il s’agissait, à l’origine, d’un concert, annulé pour cause de pandémie, et remplacé par cet enregistrement de studio, réalisé en mai 2021, sans que le programme puisse en être étoffé (voir l’interview de la soprano américaine dans ce numéro).

Le disque met en valeur un instrument glorieux, à l’évidence fait pour Richard Strauss. Dès les premières mesures de Frühling, s’imposent un flux souverain, du grave à l’aigu, et un timbre lumineux, pulpeux. La voix est plutôt lyrique, mais capable d’une grande expansion, sans effort et sans jamais perdre sa ductilité, pour planer au-dessus de la masse orchestrale. Outre d’évidentes Arabella et Ariadne (Ariadne auf Naxos), on l’imagine aisément en Helena (Die ägyptische Helena), voire, un jour, en Chrysothemis (Elektra).

Les passages mélismatiques, nombreux dans les Vier letzte Lieder, permettent à Rachel Willis-Sørensen de déployer des courbes particulièrement sensuelles, avec un aigu toujours rond. Dans cet art vocal opulent, mais jamais lourd, à la fois raffiné et direct, tout juste peut-on noter ici une attaque qui aurait pu être plus fine, là un vibrato un rien trop présent (sur le mot « Garten » dans September, par exemple).

L’allemand est naturel, et de qualité, le sens des mots indéniable, sans pourtant atteindre, tout à fait, aux arrière-plans les plus subtils des poèmes d’Eichendorff et Hesse. Dans le dernier lied, par exemple, les couleurs et nuances sur « Duft » et « Einsamkeit » sont magnifiques, mais avouons que « So tief im Abendrot » ne produit pas vraiment ce vertige du basculement dans un autre monde, que d’autres interprètes – Elisabeth Schwarzkopf, la première – ont su faire sentir.

Peut-être Rachel Willis-Sørensen trouve-t-elle, avec encore plus d’évidence, le ton d’un opéra littéraire, comme Capriccio, que celui du lied. Sa scène finale, avec son lyrisme introspectif et ses passages de conversation, la montrent particulièrement convaincante dans la traduction des humeurs changeantes, oscillant entre mélancolie et coquetterie, d’une Comtesse à la personnalité affirmée. Dommage que Sebastian Pilgrim lui donne, en Majordome, une réplique aussi ordinaire.

Le Gewandhausorchester de Leipzig, de grande tradition -straussienne, se montre foisonnant sans clinquant, avec une qualité suprême de fusion des timbres et une inimitable patine, apportée notamment par un somptueux pupitre de cors. Postludes et interludes sont très réussis.

On reprochera, quand même, au chef letton Andris Nelsons de trop étirer les suspensions avant de poser un nouvel accord, notamment sur les deux respirations de la fameuse phrase « die müdgewordnen/Augen/zu » dans September.

THIERRY GUYENNE

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