Concerts et récitals Musiques interdites à Caen
Concerts et récitals

Musiques interdites à Caen

04/12/2025
Lucile Richardot et Éléonore Pancrazi dans Musiques interdites. © Titouan Massé

Théâtre, 13 novembre

David Lescot s’est associé à l’altiste Samuel Hengebaert et son collectif Acte[Six] pour un étonnant spectacle créé à Caen et repris dans la foulée à Tourcoing, Saint-Omer et Arras, avant de revenir en fin de saison à Rouen. Les Musiques interdites, ce sont bien sûr celles que l’Allemagne nazie traitait de « dégénérées » (Entartete Musik), condamnées et mises à l’index parce que leurs auteurs étaient juifs, communistes, et qu’elles étaient « corrompues » par le jazz, l’esprit d’avant-garde ou l’écriture sérielle. Confiées à deux bateleuses de talent, les chanteuses Éléonore Pancrazi et Lucile Richardot, ces musiques se placent aussitôt sur le terrain d’un cabaret « agit-prop » où il s’agit d’énoncer les « tares » d’un répertoire hautement « subversif » de musiciens persécutés qui, au tournant des années 1930-1940, disparaissent, s’exilent ou meurent dans les chambres à gaz.

Un parti pris qui surprend de prime abord, car nos deux chanteuses manient l’humour et la dérision à partir de textes officiels, tous plus effrayants les uns que les autres – et les quelques rires dans la salle montrent l’ambiguïté de ce train fantôme constitué de visages de poètes qui, pour la plupart, ont été effacés par l’Histoire, d’Erwin Schulhoff à Gideon Klein, d’Ilse Weber à Viktor Ullmann. Des noms réapparus seulement grâce à des interprètes qui, à partir des années 2000, sur scène et au disque, cherchèrent et retrouvèrent les partitions. Certes, d’autres noms nous sont plus familiers, comme Berg, Weill, Dessau ou Friedrich Holländer. Si le texte peut paraître (trop) didactique, voire emphatique par endroits, en revanche une partie du public, plus jeune et vraisemblablement moins au fait de ce monde disparu jusqu’à l’enfouissement, se laisse capter par l’étincelle – à vrai dire l’ouragan ! – provoqué par l’abattage des deux mezzos, costumées et maquillées en cabarettistes.

Tout commence par le célèbre Jonny, bien connu des amateurs de Marlene Dietrich, qui ouvre le spectacle dans l’interprétation si personnelle de Lucile Richardot, pour se clore avec la vibrante Complainte de la Seine de Weill qu’interprète Éléonore Pancrazi, suivie de la berceuse Wiegala, aux tonalités si sereines, d’Ilse Weber. Entre-temps, on aura apprécié le Trio à cordes op. 46 d’Eisler, l’extrait – frustrant ! – d’un trio de Klein daté de 1944, un mouvement de symphonie de Schulhoff arrangé finement pour son instrument par l’accordéoniste Julien Beautemps, ou encore, du même, une Sonata Erotica dégustée malicieusement par Éléonore Pancrazi. Comme sa collègue, Lucile Richardot sidère par sa capacité à passer de la dérision au drame : exceptionnel Herbst d’Ullmann sur un poème de Trakl, Schlafen, schlafen de Berg, qui suspend en silence l’auditoire, ou la pochade Die Herren Männer de Holländer, avec sa traduction française compilée sur des cartons qu’agite Éléonore Pancrazi.

FRANCK MALLET

Éléonore Pancrazi (mezzo-soprano)
Lucile Richardot (mezzo-soprano)
Samuel Hengebaert (dm)
David Lescot (ms)
Olga Karpinsky (c)
Rémi El Mahmoud, Thomas Marchalot (l)

.

Pour aller plus loin dans la lecture

Concerts et récitals Stabat Mater de Pergolesi à Aix-en-Provence

Stabat Mater de Pergolesi à Aix-en-Provence

Concerts et récitals Cecilia Bartoli et Lang Lang à Paris

Cecilia Bartoli et Lang Lang à Paris

Concerts et récitals Elektra à Metz

Elektra à Metz